L'apport d'un collectionneur américain à la Villa Cavrois


Il faut rendre hommage à Robert Rubin qui a cédé une partie de sa collection pour remeubler la Villa Cavrois. Il l'a fait bénévolement, ce qui est d'autant plus appréciable que rare, à une époque où la valeur du mobilier créé ou conçu par Robert Mallet-Stevens ne cesse de flamber. Merci à lui de nous avoir apporté le placard courbe de la cuisine ainsi que deux tables de cette cuisine.

L’homme qui collectionnait des maisons

Publié par Cesaltine Gregario, le 16 juillet 2007 dans French Morning New York


Petit, Robert Rubin aimait déjà les beaux objets et se passionnait pour les voitures de collection. Elevé dans le New Jersey, Robert fait d’excellentes études à Yale et à Columbia et poursuit une carrière dans la finance. Plus tard dans sa vie, il sillonne le monde pour acquérir des voitures de collection dans le but de participer à de nombreuses compétitions amateurs.

Après 25 ans dans la finance, où il fait fortune, Robert décide de se dédier à une autre de ses passions : l’architecture, particulièrement celle du 20e siècle en France. Il est actuellement enseignant à Columbia où il poursuit un doctorat en histoire de l’architecture.

Des voitures aux maisons

Son attirance pour l’aspect mécanique des objets (grâce aux automobiles) le conduit au début des années 90 à assister (par hasard car il était la pour acheter des meubles crées avec des pièces détachées de voitures par Ettore Bugatti) à une vente aux enchères de meubles de Pierre Chareau. Il ne connaissait pas son travail mais en acheta quelques pièces. Intrigué par le créateur, il pousse ses recherches et commence à collectionner du mobilier de cette époque dessinés par Charlotte Perriand, René Herbst et d’autres artistes.

« Pour moi, une voiture est un objet qui a une fonction et une structure. Dans une voiture ancienne on retrouve la fusion entre l’art et l’industrie » confie-t-il. Il retrouve ces mêmes caractéristiques dans le mobilier de Chareau et plus tard dans l’œuvre de Jean Prouvé. Très rapidement, Robert apprécie l’art de ces créateurs du 20e siècle et se donne comme mission de faire profiter le grand public de ces chefs d’œuvres.


La Maison Tropicale exposée à New York en juin dernier

A la fin des années 90, il finance un projet de l’antiquaire Eric Touchaleaume : le rapatriement de Brazzaville de trois maisons conçues entre 1949 et 1951 par Prouvé. Les trois prototypes, nommés Maisons Tropicales, démontrent parfaitement le côté visionnaire de Prouvé, le père du préfabriqué esthétique et industriel très en vogue de nos jours. Les maisons ont été conçues dans l’espoir que le gouvernement en commande beaucoup pour héberger fonctionnaires installés dans les colonies. L’indépendance du Congo en 1960 met fin au rêve de Prouvé et surtout envoie dans les oubliettes ses trois prototypes.

Lorsqu’on les a localisées, les maisons étaient en piètre condition et avaient été pillées. Des trois, Robert en a gardé une dont il assure à Paris la restauration totale, pour plus de 1 million de dollars. Pourtant, la vente de la maison pièce par pièce aurait pu lui rapporter plus de 10 millions de dollars.

Mais se refusant de garder un tel chef d’œuvre pour lui tout seul et d’en tirer profit, Robert fait voyager la maison aux USA où en 2005 elle est exposée sur le campus de Yale University et ensuite sur le campus de UCLA ou de nombreux étudiants se penchent sur l’étude des maisons préfabriquées.

Pompidou aux US

Lors de l’Art Basel/Miami Beach en 2006, Robert présenta la maison lors d’une exposition sponsorisée par la Centre Pompidou Foundation, dont il est le président. La fondation, basée aux US, a comme mission de faire connaître aux américains la collection d’architecture et de design du Centre Georges Pompidou.

Robert a depuis fait don de la maison tropicale à la fondation. Le prototype de La Maison Tropicale est exposée depuis janvier 2007 au 5e étage de Beaubourg dans la nouvelle présentation des collections permanentes.

Son ex-associés, l’antiquaire Eric Touchaleaume a lui remis en vente sa maison tropicale qu’il avait acquise (la plus grande des trois) aux enchères. Le 5 juin l’hôtelier André Balasz (propriétaire de nombreux hôtels de luxe) l’a achetée pour un peu moins de 5 millions de dollars. Bien qu’il n’ait pas révélé où il placerait la maison, Balasz a dit à Frenchmorning avoir « un espace prévu spécifiquement pour la maison. »

Robert a depuis revendu une grande partie de sa collection de meubles. Mais son amour pour l’architecture de cette époque ne s’arrête pas à Jean Prouvé.

Il y a quelques années, il acheté un autre pilier de l’architecture du XXème siècle : La Maison de Verre, dessinée par Pierre Chareau avec la collaboration de l’architecte Bernard Bijuouet et du métallurgiste Louis Dalbert entre 1928 et 1932. La Maison de Verre est un espace extrêmement fonctionnel, qui fusionne modernisme et industrialisme grâce aux matières utilisées : le verre, le fer et le béton. L’approche de la construction démontre aussi le côté moderniste de Chareau qui complétait ses plans au fur et à mesure que la construction avançait.

La Maison de Verre, cachée dans la cour d’un immeuble du 7e arrondissement, fut la première maison résidentielle à faire usage de briques en verre pour construire la façade.


Afin de rendre la maison plus habitable par lui, sa femme Stéphane et leurs trois enfants, Robert entame des rénovations intenses. Et il prévoit déjà des visites hebdomadaires. « Une maison est tout d’abord une maison et doit être visitée et perçue comme une maison vivante » conclue-t-il.



Une interview de Robert Rubin

Publié dans le journal Le Monde du 25 février 2012, l’homme d’affaires et collectionneur américain Robert Rubin, également président de la Centre Pompidou Foundation (on en trouvera la présentation en anglais ci-après), est interrogé par le journaliste Michel Guerrin.

Voici quelques-uns de ses propos, qui ne manqueront pas de faire réagir.

« On demande aux lieux culturels de s’inspirer du modèle américain, de trouver de l’argent, mais sans avoir encore ni les armes, ni la mentalité, ni la culture pour y arriver. »
« Les riches américains ne sont pas plus généreux que les riches français, ils sont juste moins imposés ou, plus précisément, « fiscalement encouragés à donner. »
« On a donné à Koons les clés de Versailles [en 2008], on lui a fait une publicité énorme, son principal collectionneur américain, Eli Broad, était impliqué dans l’exposition, François Pinault, son collectionneur français, aussi, et le monde muséal français n’en a pas profité pour lui demander quelque chose en retour. »
« Un musée français devrait concentrer ses efforts sur l’essentiel : imaginer des expositions de haut niveau, sans être tenu par la rentabilité. »
Au sujet de l’exposition « Paris-Delhi-Bombay » (2011) : « Le président du Centre a affaibli la crédibilité de l’institution. »
« Qu’un musée adopte comme règle de ne plus prêter une œuvre sans y joindre une facture me désole (…) Je trouve affligeant de voir les présidents de musées, devenus voyageurs de commerce, louer des expositions clés en main un peu partout dans le monde. »
« Les gens riches ne veulent pas être séduits par des comptables. Ils veulent être séduits par des gens qui connaissent l’art, qui sont au contact avec les artistes, peuvent leur parler de leurs expériences, faire une analyse esthétique… »
A la question « un responsable de musée doit-il être un conservateur ? », il répond : « Oui. C’est le cas dans les musées américains (…) Ils ont, sous leur autorité, un administrateur chargé de la gestion, qui accompagne les projets et a l’œil sur les comptes. Mais c’est le conservateur qui est responsable devant le board, sorte de conseil d’administration, qui n’a pas peur de confier les clés à un homme de l’art. Car il sait qu’il est plus facile à un conservateur d’apprendre la gestion qu’à un gestionnaire d’apprendre l’art (…) Un décideur issu du sérail politique de l’État peut avoir des priorités et un plan de carrière qui ne coïncident pas avec les besoins scientifiques d’un musée, surtout en temps de crise. »



The Centre Pompidou Foundation is an American foundation dedicated to supporting the Centre Pompidou in Paris. The Foundation’s mission is to acquire and encourage major gifts of art and design for exhibition at the Museum. It fosters connoisseurship and a dynamic exchange of ideas through special events, exhibitions, and trips for art lovers that offer unprecedented access to artists, private collections, modern and contemporary architectural treasures, and world-class museums in the company of the Centre Pompidou curators of modern and contemporary art, architecture and design. The Foundation also publishes catalogues, translations, and other scholarly materials.


Mécénat : une nouvelle équipe à la tête de la Centre Pompidou Foundation

Publié le 10 juillet 2012 dans l'Express

L'homme d'affaires Steven Guttman a été élu président de la Centre Pompidou Foundation (CPF), en remplacement du collectionneur Robert Rubin, qui a démissionné après plusieurs mois de conflit ouvert avec Alain Seban, le président du Centre Pompidou.

Robert Rubin, qui présidait depuis 2006 la fondation américaine de soutien au Centre Pompidou, avait vivement critiqué la stratégie de M. Seban, dans un entretien paru dans le Monde daté du 25 février.

"Puisque M. Rubin déteste à ce point le Centre Pompidou, il n'a qu'une chose à faire: démissionner", avait rétorqué dans la foulée Alain Seban, reconduit le 29 février à la tête du Centre Pompidou pour trois ans. Il a obtenu gain de cause. M. Rubin "a démissionné il y a quelques semaines, le comité exécutif de la fondation ayant désapprouvé ses déclarations", a déclaré vendredi à l'AFP Alain Seban.

"La Centre Pompidou Foundation peut désormais prendre un nouveau départ", avec un trio à sa tête, désigné fin juin, a estimé M. Seban.

Steven Guttman, ancien pdg du Federal Realty Investment Trust (NYSE), et actuel patron de l'entreprise Storage Deluxe à New York, a été élu président de la fondation dont il est membre depuis cinq ans. L'homme d'affaires siège à son comité exécutif depuis trois ans.

"M. Guttman sera chargé notamment de développer la levée de fonds pour financer des acquisitions d'artistes américains", a indiqué M. Seban.

Estrellita Brodsky, historienne de l'art et grande connaisseuse des artistes latino-américains, a elle été élue vice-présidente. Elle sera chargée de mener une politique d'ouverture de la fondation à la scène artistique d'Amérique latine.

Ann Colgin, propriétaire de Colgin Cellars à Nappa Valley en Californie, devient secrétaire du comité exécutif.

Lancée en 1977, la Centre Pompidou Foundation, basée à Los Angeles, a pour mission d'acheter des oeuvres et d'encourager les dons pour enrichir les collections du Centre Pompidou.

Elle a permis à certains des grands artistes américains de l'après-guerre comme Brice Marden, Dan Flavin, Cy Twombly ou Donald Judd de rejoindre la collection du Centre Pompidou.

Alain Seban s'est réjoui que le Centre Pompidou et la Centre Pompidou Foundation "puissent désormais travailler main dans la main".

Le Centre Pompidou, qui dispose d'un budget d'acquisition limité, "va continuer à acheter des artistes français mais entend se tourner de plus en plus vers l'art non occidental, dans un contexte de mondialisation", a expliqué M. Seban.

Il va donc confier à la fondation américaine le soin d'enrichir les collections du musée en oeuvres du continent américain.


Ancien financier, Robert Rubin avait rappelé récemment avoir fait don en 2005 à Beaubourg d'une "Maison tropicale" de Jean Prouvé. Sa valeur était estimée à l'époque à 4 millions de dollars, avait-il dit.


Robert Rubin, un collectionneur engagé

Publié dans " Architectures A Vivre " le 9 janvier 2014 par Béatrice Durand

Après une vie menée dans la finance, Robert Rubin se tourne vers l’architecture : il devient historien, enseigne, achète et restaure la Maison Tropicale de Prouvé, puis la Maison de Verre de Chareau. Sa dernière acquisition, le dôme Œil de Mouche de Fuller, a été présentée pendant le festival d’art de Toulouse en juin 2013. Bien que privées, ces œuvres sont toutes restituées au public. L’idée de leur acquéreur est de les restaurer sans superflu puis de les donner à voir afin que connaisseurs et profanes puissent en apprécier l’ingéniosité.

Béatrice Durand : Comment êtes-vous venus à l’architecture ?

Robert Rubin : J’ai fait carrière dans la finance pendant vingt-cinq ans, mais parallèlement, je restaurais des voitures de course. Ce n’était pas des objets de consommation, mais de collection. Elles m’ont conduit à l’architecture plus formelle, en majeure partie métallique. Mon père était mécanicien et ma mère avait très peur que je finisse comme lui. Elle m’avait interdit de me mêler à ce qui se passait dans son atelier : il bricolait avec des machines à laver, des frigos, des télévisions. Je me suis donc inventé un système dans lequel je pouvais faire plaisir à ma mère tout en restant fidèle à mon père…

B.D. : Comment le passage de la mécanique vers l’architecture s’est-il passé ?

R.R. : Un collectionneur français avait mis en vente sa collection pour financer la restauration d’une église romaine. Trois ou quatre pièces Bugatti m’intéressaient, du mobilier et des sculptures un peu Dada, réalisés à partir de pièces détachées de voitures - non pas des œuvres du décorateur Carlo Bugatti, mais bien du constructeur automobile. Je n’ai rien acheté ce jour-là, car c’était trop cher, mais j’ai découvert Chareau, puis très vite Prouvé. A cette époque, ses créations étaient dispersées et les immeubles sur lesquels il était intervenu détruits. Je trouvais dommage que des fragments de bâtiments deviennent des morceaux de décoration. Je me suis donc lancé dans la restauration de la Maison Tropicale, pour faire connaître son œuvre d’architecte et de constructeur. Un jour, un visiteur m’a suggéré d’acquérir la Maison de Verre. J’ai rigolé en disant : « oui, pourquoi pas ? J’ignorais qu’elle était à vendre ». Il a répondu : « elle n’est pas à vendre, mais elle devrait être achetée ! » Il m’a ensuite présenté à la famille qui cherchait une solution à long terme pour la maison. Depuis, le monde entier me fait des propositions de réalisations modernistes en danger ! Donc, je trie.

B.D. : Pourquoi alors ne pas être devenu architecte ?

R.R. : A l’âge de 50 ans, j’avais davantage envie de lancer des projets que de devenir architecte. Je me révèle d’ailleurs un très mauvais client pour eux : je suis très casse-pieds à cause de ma formation d’historien. J’éprouve davantage de plaisir à restaurer des maisons remarquables qu’à imaginer des bâtiments qui pourraient en être influencés. Il me semble de plus que l’architecture connaît un profond bouleversement avec l’arrivée de l’informatique, je me sens un peu vieux pour ça. Par contre, je peux assister à la transition en préparant la voie pour des gens plus jeunes. J’ai des souvenirs très précis des années 1960, notamment de ma lecture des manifestes de Fuller dans les magazines de l’époque. Je peux ainsi montrer aux étudiants que la main humaine reste importante dans le processus de conception, même si l’ordinateur dessine tout. Ce n’est pas de l’archaïsme, l’idée est plutôt de leur poser la question : que peut-on tirer du XXe siècle pour démarrer le XXIe ? Je ne suis pas un antiquaire, mais un historien engagé dans le présent. Je me focalise ainsi sur des architectes susceptibles d’influencer les jeunes. J’étais par exemple très content quand les étudiants de Columbia ont commencé à utiliser les idées de Prouvé dans leurs dessins d’habitations pour les sinistrés de la Nouvelle-Orléans. Les liens se tissent entre les générations.


B.D. : Comment avez-vous pensé la restauration du dôme ?

R.R. : Nous avons suivi la même ligne que pour la Maison Tropicale. L’Œil de Mouche ne finira pas sa vie dans le jardin d’un collectionneur, je ne tenais pas à en faire œuvre d’art mais un objet pédagogique. De la même façon que nous avions laissé les trous d’impact sur la façade conçue par Prouvé pour faire comprendre le contexte, nous n’avons pas mené de restauration clinquante du dôme mais réalisé le minimum d’interventions pour le faire circuler sainement. Il n’est pas devenu une sculpture destinée au marché de l’art contemporain, il a juste l’air un peu plus neuf qu’à son origine, car ses concepteurs manquaient de moyens pour le recouvrir d’une couche de peinture protectrice.

B.D. : Quelle place occupez-vous dans le projet ?

RR : Je me sens entrepreneur : pas du point de vue financier, mais dans le sens « faire bouger les choses ». Dans mes divers projets, je crée une plateforme et essaie d’attirer des professionnels compétents et imaginatifs. Pour l’Œil de Mouche, quatre acteurs sont vraiment impliqués : l’Institut Fuller, l’entreprise chargée de la restauration Carlson Arts, un designer américain et un architecte français. Ca me plaisir de les voir échanger des idées sur la conception du dôme. Faut-il mieux exprimer ou cacher la structure de l’anneau ? Comment s’organiser pour que les pièces voyagent facilement ? Comment régler la connexion au sol, le problème des structures préfabriquées ? Me reviennent les choix politiques et financiers. Concernant la Maison de Verre, la question était : devait-elle devenir un musée, le siège social d’une entreprise de luxe ou rester une maison ? Quelqu’un doit décider : nous avons choisi d’y vivre et de la faire visiter une fois par semaine. Pour le dôme de Fuller, devait-on le restaurer tel qu’il était ou le refaire à l’identique ? Devait-on le monter dans un champ aux Etats-Unis ou le faire voyager ? Comme pour Prouvé, j’ai choisi de faire le circuler pour que les gens aient un contact réel avec le travail de Fuller et puissent le resituer dans l’histoire de l’architecture.

B.D. : Avez-vous de nouvelles acquisitions de ce type en vue ?

R.R. : Actuellement, je digère la dernière. Au moment d’acheter, on se dit n’importe quoi pour accepter, puis apparaissent les surprises. J’évalue aussi en fonction du coût nécessaire à la sauvegarde. Ma position, c’est qu’on ne peut pas tout sauver non plus. Ce n’est pas comme pour l’achat d’un tableau : pour un prototype entre architecture et système constructif, une perspective de plus longue durée est nécessaire. Ces projets sont de vrais engagements. Aussi, j’espère que personne ne m’approchera avec un projet intéressant… parce que je ne résisterais pas, alors que je devrais !


© Amis de la Villa Cavrois