Les souvenirs de Christine Jouret-Six

La Voix du Nord, dans son édition du mardi 2 juillet 2024, donne la parole à Christine Jouret-Six, une petite fille du couple de Paul Cavrois et Lucie Vanoutryve, qui évoque ses souvenirs dans cette villa, qualifiée de péril jaune !

Merci pour ce beau témoignage de Christine qui s'investit énormément dans l'association des Amis de la Villa Cavrois.



« Quand j’allais chez mes grands-parents à la Villa Cavrois, on me disait tu vas au péril jaune ! »  

 

Un article de Claire Lefebvre

 

Alors que la Villa Cavrois va connaître une nouvelle phase de rénovation grâce au mécénat privé, Christine Jouret-Six, l’une des petites-filles de Paul Cavrois, l’industriel qui fit construire la maison imaginée par l’avant-gardiste   Robert Mallet-Stevens, se souvient. Fêtes, déjeuners de famille et confidences d’une grand-mère aimée :   dans l’intimité d’une maison devenue monument historique. 

 

Moi, j’aimais beaucoup cette grande maison très confortable.  


« En venant à la Villa Cavrois, je n’ai jamais eu l’impression de vivre dans un château du XX e siècle comme on la surnomme parfois. Pour moi, c’était une maison de famille, j’allais chez mes grands-parents, c’est tout ! », confie, Christine Jouret-Six.


À 76 ans, la petite-fille de Paul et Lucie Cavrois déroule le fil de ses souvenirs. Quand elle naît, en 1948, la maison a été inaugurée seize ans plus tôt lors du mariage de ses parents, le 6 juillet 1932.


– Comment a lieu la rencontre entre votre grand-père, Paul Cavrois, et l’architecte Robert Mallet-Stevens ?


« Ma grand-mère me l’a souvent racontée. C’était lors d’un salon international des arts décoratifs à Paris où il y avait un pavillon dédié au textile. Mon grand-père, à la tête des tissus Cavrois-Mahieu à Roubaix, s’y rend et croise l’architecte. Il lui parle de la maison qu’il veut construire dans le Nord sur un terrain de 5 ha.

Sauf qu’il a déjà les plans d’un autre architecte pour une maison anglo-normande comme en font alors construire les autres grandes familles bourgeoises. Rentré à Roubaix, mon grand-père déchire tous les plans et Robert Mallet-Stevens l’emmène aux Pays-Bas voir l’hôtel de ville d’Hilversum, construit avec cette même brique jaune. La construction est lancée en 1929. »


– Avez-vous vécu dans cette maison ?


« J’y ai rarement dormi parce que mes parents habitaient dans la région. En revanche, je venais déjeuner deux fois par semaine chez ma grand-mère, tous les mardis et les vendredis ! Quand j’arrivais, j’allais dans son petit bureau derrière la baie vitrée.

On déjeunait au rez-de-chaussée dans ce qui est redevenu aujourd’hui la chambre de Michel Cavrois (le fils aîné de Paul Cavrois). »


– Vous avez connu cette maison dans sa version de l’après-guerre…


« Elle avait été dégradée par les occupations allemande et française et quand mes grands-parents sont revenus, leurs enfants étaient grands. Ils ont fait appel à un architecte pour diviser les 1 800 m 2 en trois appartements. Mes grands-parents ont gardé la partie avec « la grande salle » (le salon cathédrale), Paul fils habitait l’autre aile et au-dessus il y avait mon parrain, Francis, chez qui je venais une fois par an. »


– Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?


« Je me souviens que bon-papa voulait toujours qu’on fasse le tour du rond pour admirer la maison en arrivant en voiture ! J’ai surtout de très bons souvenirs avec ma grand-mère. On parlait beaucoup. On se mettait à l’ombre dans le jardin… Quand mon grand-père est décédé, ma grand-mère est souvent venue chez mes parents en Normandie. Le soir, j’allais ouvrir son lit comme on le lui faisait à la Villa Cavrois et je papotais avec elle. »


– Comment avez-vous réagi quand vous avez appris que la villa allait être remise en état ?


« Ç’a été mon plus grand bonheur ! J’ai vraiment eu peur qu’elle disparaisse. C’était un crève-cœur parce que je me suis aussi mariée ici ! »


– Racontez-nous ! Avez-vous des photos de votre mariage ici ?


« Aucune malheureusement ! Pour mon mariage en 1974, on avait organisé un cocktail dans le salon et sur la terrasse. On a fait une quantité de photos ce jour-là, le matin chez mes parents, à la messe, au vin d’honneur… Mais rien ici ! À l’époque, le photographe ne suivait pas pour la réception et il n’y avait pas de téléphone portable ! Il devait y avoir 350 ou 400 invités parce que je me suis mariée en même temps que ma sœur jumelle. Il y avait donc trois familles ! »


– Comment était alors perçue la Villa Cavrois ?


« Son audace était mal vue ! C’était très différent de chez mes autres grands-parents qui avaient une maison avec des enfilades de pièces, des boiseries et des tapisseries. Un style auquel on était davantage habitué dans la région. Quand je venais déjeuner chez mes grands-parents Cavrois, on me disait : tu vas au péril jaune ou même à la folie Cavrois ! Moi, j’aimais beaucoup cette grande maison très confortable, qui est pour moi liée à ma grand-mère. Ça m’énervait qu’on dise ça, d’autant qu’aujourd’hui, il est de bon ton de venir s’y promener avec ses amis et d’admirer sa modernité ! »


La suite de l'article évoque la poursuite de la restauration grâce au mécénat. La société Rolex va intervenir sur la réfection de certaines parties métalliques et de design.



Une renaissance achevée grâce au mécénat privé  

 

Chef-d’œuvre du modernisme, la Villa Cavrois était instagrammable avant l’heure ! 

 

Après un chantier de treize ans qui avait permis de remettre en état en 2015 le palais et son parc imaginés par Robert Mallet-Stevens, une nouvelle rénovation vient de commencer, notamment grâce au mécénat privé.

    

Conçue entre 1929 et 1932 par l’architecte avant-gardiste pour un grand industriel du Nord et sa famille de sept enfants, la Villa Cavrois n’a pas pris une ride ! Pourtant, son histoire a été mouvementée.


À la mort des propriétaires, Paul et Lucie Cavrois, les meubles sont vendus aux enchères et la villa cédée par les héritiers à une agence immobilière qui lotit une partie du parc de 5 ha.


Mais la demeure finit par être laissée à l’abandon, malgré son classement comme monument historique en 1990.


Au premier étage, une « pièce-martyr », avec ses murs abîmés volontairement laissés à nu, témoigne aujourd’hui du vandalisme qu’elle a subi.


Équipements de pointe


Il faut attendre le rachat par l’État en 2001 pour que commence un titanesque chantier de rénovation, qui mobilise durant treize ans les savoir-faire d’artisans d’exception.


En 2015, la villa et son parc retrouvent leur splendeur de 1932, alliance audacieuse de matériaux nobles (marbres de Suède et de Sienne dans les salles d’apparat, chambre à coucher en bois de palmier…) et matériaux industriels (béton, verre, métal).


La modernité d’une villa – instagrammable avant l’heure ! – saute plus que jamais aux yeux aujourd’hui !

Avec sa façade symétrique qu’on découvre façon travelling (Robert Mallet-Stevens était un ancien décorateur de cinéma), son salon cathédrale de 6,50 m de haut, ses toits-terrasses, le luxe de sanitaires inimaginable pour beaucoup à l’époque.


Mais aussi avec ses équipements de pointe : ascenseur, chauffage central, volets roulants, téléphonie ou encore enceinte circulaire diffusant la TSF.


C’est sur ces éléments architecturaux et de design (mécanismes, poignées de porte…) que va se concentrer la nouvelle restauration prévue à partir de la fin d’année et qui devrait durer jusqu’à fin 2025.


Cette dernière est possible notamment grâce au mécénat de Rolex France.


Le célèbre horloger était déjà engagé auprès du Centre des monuments historiques : il a déjà aidé à restaurer l’Hôtel de la Marine et l’horloge monumentale du Panthéon à Paris.


La marque de montres de luxe fait concevoir depuis soixante ans ses différents sièges par des architectes renommés (le japonais Kengo Kuma à Dallas, sir David Chipperfield à New York…).


Si elle ne communique aucun chiffre, elle promet de contribuer à préserver la villa nordiste qui est l’œuvre la plus emblématique de Robert Mallet-Stevens.


En 2015, la villa et son parc retrouvent leur splendeur de 1932, alliance audacieuse de matériaux nobles.