Un article paru le 30 mai 2021 dans La Voix du Nord Edition de Béthune par Jean-Marie Ochowiec (CLP)
Ils veulent raviver la mémoire des usines de Beugin - La Comté, bientôt centenaires
Des passionnés entendent commémorer le centenaire des usines de Beugin - La Comté, ce fleuron industriel presque oublié, fondé en 1923. Vos témoignages et archives les intéressent.
Ils sont deux femmes et un homme, le noyau dur d’un groupe ayant de profondes attaches avec ce qui fut un temps la Société d’exploitation des procédés (SEP) Beugin, installée dans le village voisin de La Comté. Il y a Odile, qui a longtemps travaillé sur le site au côté de son oncle, un des directeurs ; Pascale, étudiante en architecture à Lille, qui vient de terminer un mémoire de 250 pages consacré au grès d’Artois rustique ; et Jean-Pierre, qui a notamment hérité de son père un fonds d’archives impressionnant.
À l’approche du centenaire de la création des usines céramiques – c’était en 1923 –, ils espèrent collecter le maximum de témoignages et de pièces de toute sorte. « Notre idée est de faire quelque chose qui reste, un recueil, un livre… », pose Jean-Pierre Poniedzialek, sans trop savoir où va mener cette aventure. « On veut raconter l’histoire de l’usine Elby, qui a une multitude de facettes et qui a marqué trois générations d’habitants des deux villages et d’au-delà », ajoute Pascale Bredelle. « C’est un devoir pour nous, pour les gens qui y ont laissé leur santé, leur vie », renchérit le premier.
Ces petites histoires qui font l’histoire
Ces trois-là n’ont évidemment pas leur pareil pour raconter les petites histoires qui planent encore au-dessus des deux localités. Au-dessus du lac qui se serait « rempli en une seule nuit », de ce lieu où « les Anglais ont fait sauter leurs munitions » lors de la débâcle de 1940, de ce même endroit pressenti par leurs ennemis de l’époque pour accueillir une base de V1, ou sur le siège de l’actuel Beugin Garay (notre édition du 24 mars), surnommé « la maternité » depuis son édification…
Odile Grenier, elle, est intarissable sur les productions des usines céramiques qui, à leur grande époque, ont employé « jusqu’à 1 000 personnes, le double avec les sous-traitants ». Preuve de leur qualité, même s’ils ne sont plus fabriqués, « ces produits, on les retrouve partout ! », reprend Pascale, « archéologue » à ses heures, de la station de métro République - Beaux-Arts de Lille à l’église de Port-Grimaud en passant par l’aéroport d’Orly, pour ne citer que ces endroits-là.
Mais le gisement documentaire sur lequel ils sont assis ne leur suffit pas. Ils veulent encore le creuser et « collecter les vécus, les anecdotes pour les communiquer, les partager ». Et pour cela, ils comptent sur vous. À vos souvenirs !
Contact : par mail, jean-pierre.poniedzialek@orange.fr ou sur la page Facebook « L’usine de Beugin – La Comté : les Grès d’Artois ».
Une visite à la Villa Cavrois
et à l'Usine Cavrois-Mahieu
Un article de Julie Borowski paru dans l’Écho du Pas-de-Calais n° 211 – Septembre 2021 – page 10
BEUGIN – LA COMTÉ • En levant les yeux (de nos écrans) et en prêtant attention, certains objets du quotidien nous content leur histoire. Parfois, il faut aussi baisser les yeux pour les entendre. Quid de ces carrelages en grès étiré flammé maïs si souvent foulés ? Qu’ils se trouvent dans les maisons de l’Artois, sur les trottoirs du Touquet, dans les hangars de l’aéroport d’Orly ou dans les écuries du roi du Maroc, les Grès d’Artois nous ramènent à Beugin – La Comté.
L’histoire de la Société d’exploitation des procédés (SEP) de Beugin est vaste. Elle remonte à il y a presque cent ans. Une histoire qui peut se raconter à travers une frise chronologique, des dates clés. Une histoire qui se raconte aussi à travers son environnement, ses anciens ouvriers, ses quartiers et leurs habitants. Une histoire qui a laissé une trace, bien plus grande que des entrepôts – repris ou non -, de vieux panneaux, des noms de rues. Une trace indélébile dans les mémoires, souvent nostalgiques de ce temps passé. C’est cette histoire que veut nous raconter un petit groupe formé au gré... non pas du vent, mais justement par des souvenirs liés aux fameux Grès d’Artois.
La vie en grès
Créée par Jules Elby – homme politique et directeur de la compagnie des mines de Bruay – en 1923, la SEP de Beugin fut une industrie rurale de renom spécialisée dans la fabrication de pièces en céramiques (carrelages en grès flammé, saloirs, pièces spéciales pour trottoirs, revêtements antiacides...) qui employa à une époque plus de mille ouvriers ! L’usine était dirigée par Marcel Boutin, qui créa les quartiers alentours, à l’image des cités minières. « Un directeur sympathique, estimé » précise Odile Granier. Habitante de La Comté, attachée à son village, Odile est tombée dans la marmite de céramique dès sa naissance et demeure intarissable sur l’histoire de cette industrie. Elle connaît sur le bout des doigts les références des carreaux de Grès d’Artois, et se remémore tout aussi bien, les yeux lumineux, ses souvenirs autour de la SEP de Beugin, où ont travaillé son grand-père, son père, son oncle... tout comme elle. Les yeux de Jean-Pierre Poniedzialek, son voisin d’enfance et de Patrice Nadalin s’illuminent aussi lorsqu’ils parlent de la vie, de l’enfance menée autour du site. Les deux parents de Jean-Pierre y travaillaient, tout comme le père de Patrice, italien, au savoir-faire recherché. Ce dernier travaillait souvent très loin, en Irak, en Jordanie, au Maroc, en Sibérie, et Patrice restait à la maison avec sa mère, polonaise (« Je suis un pur produit de l’immigration ! » rit-il), vivant « les années bonheur » dans les quartiers et des aventures dignes de la Guerre des boutons : « Les différentes nationalités s’effaçaient pour une culture commune dans une même langue, le Chti. Seuls les différents quartiers étaient prétextes à disputes : Le Bajuel, La Rochelle, le Bois-mont, Les Coutures, la Briqueterie, La petite ville, Les Répignons... Les règlements de compte se terminaient souvent à l’molique*! Notre éducation venait de la famille, à la française, mais aussi dans la rue, à l’église, à l’école et bien sûr grâce au football... ». Jean-Pierre et Patrice se remémorent la couleur brique des maniques en caoutchouc des ouvriers de l’usine, Odile se souvient de son père, qui, lors de l’été caniculaire de 1976 lui avait dit « Il faudrait amener à boire aux briquetteux ! ». La solidarité dans les quartiers était forte. Tous trois entendent encore « le cornet » qui annonçait la fin d’un poste, et sonnait « quatre ou cinq fois » dans la journée. Tous trois se souviennent du départ en trombe des ouvriers, à 16h30, certains à mobylette : « C’était à celui qui allait démarrer le plus vite ! », s’exclament-ils. Des histoires qui s’étendent encore aux abords de l’usine. « Selon la légende, raconte Jean- Pierre Poniedzialek, le lac de Beugin, creusé par l’extraction de schiste, se serait rempli en une nuit !», surprenant les ouvriers de la carrière, dont les rails et wagons seraient restés au fond. Aujourd’hui paisible lieu de promenade, Odile se souvient qu’à l’époque des Grès d’Artois, le lac était animé par les guinguettes : « On y a passé de très bons moments ».
Devoir de mémoire
La récente rencontre avec Pascale Bredelle, étudiante en architecture venant de réaliser un mémoire de 250 pages sur les Grès d’Artois rustiques et les innombrables documents récupérés par Jean-Pierre aux décès de ses parents ont incité le petit groupe à faire perdurer la mémoire du site autour d’un futur livre, tant sur le plan historique qu’autour des... pierres que chacun pourra y apporter. Ainsi, Pascale, Odile, Jean-Pierre et Patrice multiplient les rencontres et sollicitent les souvenirs de tous : « On ne sait pas encore la forme que prendra ce livre, mais nous faisons appel aux témoignages, aux documents, aux anecdotes, associatives, culturelles, sportives nous reliant aux Grès d’Artois ». Un devoir de mémoire et un bel hommage à tous les courageux ayant travaillé sur le site - parfois au péril de leur santé - mais aussi une belle façon de se souvenir d’une époque avant tout humaine et emplie de respect.
*boule de terre argileuse humide
Bois Louis et d’Épenin
Situées autour de l’ancien site de production, les carrières des bois Louis et d’Épenin furent exploitées jusqu’en 1970. Depuis, une faune et une flore diversifiées s’y sont installées. Le département du Pas-de-Calais est désormais propriétaire de ce site de 86 hectares, alternant bois, landes et prairies. De charmants sentiers sont accessibles et permettent de se balader paisiblement le long de la rivière la Lawe parcourant les bois.
• Contact :
Par mail : jean-pierre.poniedzialek@orange.fr
Page Facebook : L’usine de Beugin – La Comté : GRÈS D’ARTOIS