L'exposition " Chic et pratique "

INTRODUCTION


Les bouleversements consécutifs au premier conflit mondial entraînent l'émergence d'une société en quête de changements et de modernité.


Conscient de cette évolution, le Mobilier national parie alors sur une nouvelle génération d'ensembliers et de maîtres d'art proches de la Société des artistes décorateurs (SAD). C'est ainsi qu'André Arbus, Jules Leleu, Jean Pascaud, Suzanne Guiguichon, André Devèche, Gilbert Poillerat, Colette Gueden, Marc du Plantier, Janette Laverrière ou Raphaël Raffel sont appelés à écrire l'histoire de l'institution dans ces trois décennies du XX° siècle (1930-1960).


Chacun de ces décorateurs convoque avec brio, dans des formes nouvelles et audacieuses, l'art et la maîtrise des ébénistes, des menuisiers, des lustriers, des passementiers, mais aussi des gainiers, des tapissiers et des liciers qui font l'essence même du luxe à la française. Garant de ce patrimoine, le Mobilier national met ici à l'honneur le savoir-faire français.

C'est en véritable expert de la transgression avec son style « chic et décalé », empreint de références au théâtre et à la mode, que Vincent Darré a été invité par le Mobilier national à mettre en scène ces ensembles extraordinaires et ces grands noms de la décoration.

AMBASSADES ET MINISTÈRES AU SERVICE DU RAYONNEMENT CULTUREL FRANÇAIS


Dans les années 1930, les ameublements des ministères sont le reflet d'un certain traditionalisme, avec une large place laissée au mobilier des XVII° et XVIII° siècles. Cependant, quelques lieux de pouvoir tels que le Palais de l'Elysée ou l'hôtel du ministère de l'Agriculture, rue de Varenne, sont partiellement redécorés dans une veine « classique-chic » qui s'harmonise avec les œuvres du passé.


Dans les ambassades, de grands programmes décoratifs exaltent la France et ses richesses comme l'illustre le projet de Gustave Jaulmes pour Washington. De vastes chantiers de construction et d'aménagement sont lancés tout au long de la période comme à Belgrade, Ankara et Ottawa dans les années 1930, puis à Helsinki, Sarrebruck et Prétoria dans les années 1950, afin d'affirmer la place de la France sur la scène internationale. Un soin particulier est apporté aux espaces de réception - salon, salle à manger et cabinet de travail de l'ambassadeur - qui servent tant de vitrines aux savoir-faire français et aux créations nouvelles de l'époque que de supports à la diplomatie et aux valeurs patriotiques.


PHILIPPE GENET (1882-?) ET LUCIEN MICHON (1887-1963)


« L'art de l'éclairage constitue, sans doute, le département des arts appliqués où s'élaborent les solutions les plus ingénieuses et les plus neuves. Genet et Michon peuvent être comptés parmi les décorateurs qui ont apporté les plus heureuses données dans cette question du luminaire. »

Mobilier et décoration, 1937


TORCHERE

Philippe Genet et Lucien Michon

Acier, laiton patiné et verre (1937)


1950 CHIC ET PRATIQUE DE LA DÉCORATION AU DESIGN

La révolution sociale qui s'opère dans les années 1950, liée à l'essor de la société de consommation, voit l'émergence du businessman. Avec lui, les bureaux se réinventent et deviennent un espace de la vie quotidienne. L'élan d'après-guerre pour les grands ensembles traditionnels se tarit peu à peu au profit de meubles plus confortables, interchangeables et surtout plus avant-gardistes, à l'image du mobilier de Marc du Plantier.


La période reste néanmoins marquée par l'ambivalence entre une vision traditionnelle et une inflexion vers le design alors en plein essor. Se côtoient ainsi des décorateurs comme Suzanne Guiguichon ou Edgar (une erreur s’est glissée dans le panneau il s’agit en fait de Jacques) Quinet, tournés vers une clientèle classique, et d'autres comme Jeanette Laverrière, dont le mobilier s'adresse à cette nouvelle société plus encline à la mode.


La montée en puissance de l'Union des artistes modernes (UAM) avec Jean Prouvé, Le Corbusier et Charlotte Perriand bouscule le monde des décorateurs qui, comme Raphaël Raffel, flirte désormais avec le design. Les formes se simplifient, les lignes sont plus graphiques, les meubles deviennent plus sculpturaux, et l'aspect utilitaire conditionne à présent l'esthétique du mobilier.


Le décorateur laisse place peu à peu au designer. Le chic doit désormais rimer avec pratique.


LE PAVILLON DE CHASSE DE MARLY ENTRE LUXE, CALME ET VOLUPTÉ


Le pavillon de Marly, situé non loin de Paris, s'inscrit dans la grande entreprise de restauration et de valorisation des résidences présidentielles qui s'opère à la fin des années 1940. La salle à manger est alors conçue dans un style « campagne-chic » en adéquation avec le lieu.


Jacques Fillacier, artiste-cartonnier, réalise en 1945 les modèles pour trois tapisseries et une série de douze garnitures de chaises avant même de connaître la structure destinée à les accueillir. Cet ensemble, tissé à Beauvais de 1946 à 1948, est imaginé sur le thème de la moisson, idéal pour la campagne, avec la représentation de paysans aux champs entourés de blé, d'orge et d'avoine, le tout mis en majesté par l'emploi d'un fond rouge puissant rehaussé de noir.


C'est en 1949 que Gilbert Poillerat est appelé à créer un décor total comprenant chaises, table, console, lustre et appliques réalisés en métal patiné et partiellement doré.


Il opte pour un style néoclassique actualisé empreint de références aux demeures pompéiennes et aux productions mobilières des XVIIème et XVIIIème siècles. Si le choix du métal répond à un esprit de robustesse, le ferronnier d'art pousse la technicité à son paroxysme en proposant des chaises et des luminaires aux structures fines, presque précieuses, qui viennent contraster avec l'imposante table centrale. L'emploi parcimonieux de la dorure - toujours légèrement patinée - ainsi que la sobriété des formes contribuent parfaitement à l'esprit de luxe attendu pour cette résidence.


Retiré de Marly dès 1955, cet ensemble demeure l'un des plus beaux de cette période aujourd'hui conservé.


L'ÉLYSÉE AURIOL - LE CHOC DE LA MODERNITÉ


L'arrivée de Vincent Auriol, le 16 janvier 1947, à la présidence de la IV° République inaugure un vaste chantier de rénovation du palais de l'Elysée. L'enjeu est d'y introduire la modernité tout en conservant la théâtralité nécessaire à la représentation du pouvoir politique. Le couple présidentiel, grand amateur d'art et de décoration contemporaine, investit les lieux et signe pendant sept ans une nouvelle page de l'histoire esthétique de l'Élysée.


Dans les espaces officiels, dits « d'apparat », une communion entre les décors historiques et les pièces modernes s'opère.


Les ensembles mobiliers hérités des aménagements du XVIII° siècle au Second Empire sont conservés comme symbole d'une France puissante, mais complétés par quelques meubles correspondant au nouveau style de vie. Les meubles modernes dialoguent avec les anciens, s'inspirent des motifs des boiseries ou des tapis pour finalement s'effacer dans le décorum.


C'est dans les espaces privés que l'irruption de la modernité est la plus sensible. Plusieurs projets sont envisagés pour les quatre pièces du premier étage destinées aux appartements privés du Président. Réservés à un public restreint, ces espaces vont subir de plus amples transformations. Les boiseries historiques sont dissimulées par de larges panneaux de bois plaqué permettant de mettre en lumière des pièces majeures de la production contemporaine.


Des grands salons d'apparat aux sphères les plus privées, telle la salle de bains présidentielle, on ne peut que souligner l'élégance et le luxe accordés aux décors où rien n'échappe à la modernité souhaitée par le couple Auriol.


LA RENAISSANCE DE RAMBOUILLET - UN CHÂTEAU DÉDIÉ À LA MODERNITÉ


Plusieurs artistes-décorateurs, dont André Arbus, Suzanne Guiguichon, Genès Babut et Pierre Lucas sont appelés en 1946 à œuvrer sur le chantier de restauration du château de Rambouillet, haut lieu de la diplomatie française. Les espaces destinés aux hôtes de marque, tels le salon des marbres ou les chambres situées dans la tour François Ier, selon les nouvelles considérations décoratives sont aménagés.


La figure d'André Arbus - qui jouit alors d'une grande notoriété - joue un rôle capital dans cette démarche de renouveau des arts décoratifs français d'après-guerre. Réel ensemblier, il orchestre la décoration comme un tout cohérent, où chaque objet se répond et se complète dans une parfaite harmonie.


Respectueux de l'identité historique du château, Arbus aménage la chambre de la tour François Ier sur le thème de la Renaissance: la sphère armillaire réalisée par Poillerat évoque les travaux de Galilée, le meuble à estampes rappelle le goût, au XVI siècle, pour les collections de gravures, tandis que le meuble à deux corps de Jean-Charles Moreux reprend un vocabulaire formel et ornemental typiquement renaissant.


D'une grande érudition, le décorateur use et abuse de ces références au passé qu'il modernise et interprète de façon audacieuse et tout à fait originale pour un château résolument ancré dans son temps.


SOUTENIR LES ARTISTES DÉCORATEURS - UN LUXE DE PRÉCAUTION EN TEMPS DE GUERRE


Pressentant la guerre, les Manufactures nationales sont transférées dès 1939 à Aubusson, tandis que le Mobilier national déménage ses collections les plus précieuses loin de Paris. Le déplacement du gouvernement à Vichy entraîne la fermeture de l'Élysée et des ministères.


L'administration du Garde-meuble navigue alors entre zone libre et zone sous occupation allemande.

Le choc de la guerre et le bouleversement politique qui en résulte n'empêchent pas, toutefois, l'acquisition d'un mobilier extrêmement raffiné. La crise économique engage l'Etat dans une politique de soutien à l'industrie du luxe. Le mobilier reste en effet au premier plan des richesses nationales. Des crédits sont alors débloqués pour l'acquisition - à prix avantageux - de quelques-unes des pièces « signature » des décorateurs alors en vogue tels Eugène Printz, Maxime Old et Jacques Adnet.


En parallèle à ces achats de prestige, les frères Devèche promeuvent les valeurs de la propagande du régime de Vichy. Les restrictions sur les bois exotiques, difficilement importables, et sur le métal, alors réservé à l'armement, conditionnent les nouvelles lignes de mobilier. Austérité des décors, retour aux bois indigènes et aux meubles massifs témoignent d'un nouveau style de vie tourné vers une ruralité sublimée.


L'ART DÉCO ENTRE AUMOBILIER NATIONAL


Guillaume Janneau, administrateur du Mobilier national, demande l'acquisition à partir de 1935 des premières pièces dites « Art déco ». Le mobilier du « premier Art déco » (1918-1925), encore plaisant avec ses décors de fleurs traités dans un goût anguleux, est délaissé par le Mobilier national. Celui-ci préfère des meubles d'un nouveau chic avec des formes simplifiées, plus géométriques, des lignes plus strictes et des décors sobres mettant à l'honneur des essences de bois tropicales ou locales, à l'image de ce bureau en loupe d'amboine.


BUREAU ROGNON


Georges de Bardyère

Loupe d'amboine, ivoire (1933)



FAUTEUIL DE BUREAU

Georges de Bardyère

Loupe d'amboine, brocatelle rose (1933)



LAMPE DE BUREAU

Jacques-Émile Ruhlmann

Métal chromé (1929)



VASE LUMINEUX

RUHLMANNN°2

Jacques-Emile Ruhlmann (modèle), Jean Beaumont (décor)

Manufacture de Sèvres Porcelaine (1930)