Nord Eclair du 13 août 1993 - La villa Mallet-Stevens attend la rentrée
Le calvaire de l'extravagante demeure croisienne continuera tant qu'elle n’aura pas trouvé un propriétaire et une utilisation. En attendant, c'est les vacances, et le monument historique n'est toujours pas protégé.
Les choses ont semblé bouger en juin. Et depuis, rien. Son actuel propriétaire a fait tondre les pelouses, tailler les haies, mais, pour le reste, la villa, qui ressemble toujours un paquebot échoué prêt à couler, n'a guère vu sa situation évoluer. A moins qu’en coulisses… Quoiqu’il en soit, le bâtiment, œuvre de l’architecte Mallet Stevens, mieux connue, paraît-il, des Japonais ou des Américains, que des Français, attend encore d'être protégée des intrus et de la pluie, de trouver un autre propriétaire ainsi qu'un nouvel avenir... Avant les vacances, la Direction régionale des affaires culturelles (la DRAC), autorité représentant le ministère de la culture, avait annoncé des mesures de protection. Elles ne sont toujours pas concrétisées... M. Francis Debeunne, le maire de Croix, et M. Éric Laurent, président de l'association de sauvegarde de la villa Cavrois, ont bien l'intention de relancer le débat dès septembre... En attendant, petit rappel des événements.
Flash back. 1932. Cette année-là, dans le magnifique quartier de Beaumont, l'architecte et décorateur Robert Mallet Stevens achève la réalisation pour M. Paul Cavrois - c'est un industriel et sa famille compte neuf enfants de l'extravagante maison d'habitation que l'on connait. Son style « art déco » joue avec la modernité, les lignes géométriques, l'espace surdimensionné, la lumière, le confort, l'utopie et... les polémiques. On en pense ce que l'on veut, mais il faut reconnaître que c'est un extraordinaire témoignage, tant d'une époque que d'un homme dont ce fut la dernière commande privée...
La famille Cavrois l'occupera jusqu'en 1986 avant de la revendre, l'année suivante, à un voisin, Jean-Pierre Willot...
La villa appartient aujourd'hui à la Société civile immobilière Kennedy Roussel que dirige M. Gilles Willot. Plusieurs projets immobiliers seront présentés par le propriétaire. Ils inquièteront le voisinage.
Les demandes de permis de construire seront rejetés par le maire. Sursis pour la villa...
Mobilisation du milieu architectural
Dans le même temps, des architectes, qui évidemment connaissent l'œuvre de Mallet Stevens, vont s'émouvoir du sort réservé au seul exemple du genre au nord de Paris. Si on ne fait rien, tout peut disparaître.
Comme les quarante meubles et objets créés pour la villa qui seront dispersés lors d'une vente aux enchères à Monaco. Cette mobilisation du milieu architectural, relayée par les autorités culturelles, débouche sur une première procédure de classement à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Elle trouve un soutien en 1987 avec l'accueil, au musée d'art moderne de Villeneuve d'Ascq, d'une exposition consacrée à cet architecte de l'entre-deux-guerres. Cela permet d'attirer également l'attention du grand public... Par la suite, une procédure de classement s'engagera auprès du ministère de la culture, sans l'avis du propriétaire. La procédure dite de classement d'office aboutit en décembre 1990 avec un décret ministériel indiquant que la villa est classée monument historique avec son environnement immédiat : terrasses, piscine, maison du gardien, dégagements circulaires pour l'accès en automobile, l'emplacement de l'ancien miroir d'eau et les allées qui l'encadrent…
Le mois précédent, une association de sauvegarde s'était créée, regroupement d'amoureux de la villa, architectes ou pas.
Tergiversations
Malheureusement pour lui, malgré le classement, le « monument historique » n'a pas été tiré d'affaire. Successivement, il va attirer puis faire peur à quelques candidats à l'acquisition. Les principaux : la Communauté urbaine de Lille et le conseil général… Avec le conseil général la villa a joué de malchance. La majorité socialiste a voté une ligne budgétaire de quatre millions de francs mais les élections cantonales de mars 1992 ont bouleversé les rangs de l'assemblée départementale et la nouvelle majorité n'a pas vu d'un très bon œil ce « cadeau ». Jusqu'à renoncer, malgré la promesse d'achat. Les temps sont durs et il y a d'autres priorités. On peut parler d'imbroglio politico financier...
Le changement
Qui ? Et pourquoi faire ?
Que va-t-il se passer ? L'association de sauvegarde de la villa Cavrois a bien l'intention de relancer le débat à la rentrée. M. Éric Laurent, son président, constate que tout le monde semble attendre l'autre. Pour lui, il faut assurer d'urgence le « clos et le couvert », trouver un propriétaire qui ait vraiment envie de la sauver, réaliser une expertise technique et ensuite, pourquoi pas, étaler les travaux de restauration sur plusieurs années. Pour en faire quoi ? Selon lui, tout est possible : musée, lieu d'accueil d’artistes, lieu d'expositions...
Bien sûr, il faudra compter avec les contraintes inhérentes au classement.
M. Francis Debeunne, le maire de Croix, veut aussi susciter un mouvement à la rentrée. A son avis, il faut « fédérer les volontés », Croix et le conseil général n'excluant pas leur participation à un projet regroupant plusieurs partenaires.
L'essentiel à ses yeux, c'est que la villa appartienne à quelqu'un, que des mesures immédiates soient prises pour la protéger et que l'on précise au plus vite ce que l'on peut en faire…
B. Krieger
A Hyères, la ville est propriétaire
On le voit, le sort de la villa n'est toujours pas réglé. La SARL Kennedy Roussel, bloquée dans ses projets, cherche un acquéreur et en a un peu assez de se voir attribué le mauvais rôle dans cette histoire. Alors que les collectivités locales, sollicitées, semble-t-il, par la famille Cavrois, ont fait preuve pour le moins de tergiversations (voir ci-contre), les coûts d'achat et de réhabilitation n'expliquant pas tout. C'est vrai que la villa fait peur. Mais, c'est vrai aussi, qu'en dépit des chiffres avancés, aucune étude technique sérieuse ne semble avoir été entreprise, ne serait-ce que sur le coût exact d'une restauration. De plus, même si la dépense est importante, il est évident qu'elle pourrait être partagée entre plusieurs partenaires et étalée sur plusieurs années...
En juin, les services de la DRAC ont fait savoir qu'ils avaient reçu du ministère une modeste somme de 300.000 F destinée à financer d'une part la mise en place d'une clôture efficace et d'autre part des travaux visant à protéger le bâtiment des dégâts des eaux. La villa les attend. Jeudi, rien n'était fait.
Notons encore que début juin, le club « Communication et Futur » a apporté sa contribution au débat en organisant, à Lille, une soirée intitulée : Y-a-t-il une planche de salut pour la villa Cavrois conçue par Mallet Stevens à Croix ? Avec notamment le récit de ce qui a notamment été fait pour la villa Noailles d'Hyères, autre œuvre de Mallet Stevens, sa première dans le genre. La villa du sud qui date, elle, de 1923, a été sauvée de la ruine des vandales et de la spéculation immobilière. Au départ, son état n'était pas meilleur que la maison de Croix.
Comment a-t-elle été sauvée ? Dans le cas de cette maison du Var - conçue par Mallet Stevens comme une résidence secondaire à la campagne et qui
La villa conçue pour le vicomte de Noailles et son épouse est actuellement inscrite à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques dans sa totalité, ce qui a permis les travaux. Son classement comme monument historique" ne devrait intervenir qu'une fois tout terminé. C'est un vœu de l'État.
Première tranche terminée
A ce jour, les quelque premiers 600 m2 (sur les 1.800 m2 totaux) ont été restaurés. Ainsi qu'une partie des jardins. L'opération a coûté 6,25 millions et bénéficié de subventions de l'État (40 %), de la Région et du Département. Les locaux ont actuellement une vocation culturelle mais leur affectation n'est pas encore définitive.
Une deuxième tranche doit être lancée. Plusieurs projets ont été proposés qui ont été repoussés par la ville dans la mesure où ils ne correspondaient pas aux intentions initiales : vocation culturelle et accueil du public.
Dans l'avenir, les locaux resteraient propriété de la ville mais un bail serait concédé à un ou plusieurs partenaires privés avec un cahier des charges particulièrement sévère. En attendant peut-être un éventuel transfert de propriété mais les mécènes sont rares...