Cette exposition a pour ambition de présenter un choix précis sélectif de pièces sur le thème du siège ayant marqué l'histoire du design au XXème siècle.
Les sièges ont toujours identifié et témoigné des différents modes de vie, des comportements et des mouvements de la société. Les pièces retenues tentent par leurs innovations et leurs procédures de création d'identifier le parcours et les différentes étapes du XXème siècle, depuis l'affirmation de l'ère industrielle jusqu'à l'époque actuelle.
Cette sélection est fondée sur le principe de la " confrontation ". Elle met en vis à vis, à chaque fois, à travers 13 thèmes, deux sièges, parfois trois, dont le choix repose sur la relation opposée ou critique du concept et du scénario ayant initié la production de leurs formes.
Un texte associé à chaque ensemble présente, par une analyse conceptuelle, l'argument historique, sociologique, technologique ou artistique mis en œuvre. Il situe l'importance de ce domaine de la création d'un siège qui, au delà de sa présence permanente au sein des comportements, est un sujet récurrent que tout designer ou architecte se doit d'affronter. Parmi les trois postures basiques du corps humain -debout-assis-couché-, seule celle de l'assisse impose un point d'appui ou une prothèse. Le siège étant étymologiquement le lieu du pouvoir il permet d'être à la fois " passif et actif ", " immobile et pensant ".
1 Elévation / Inversion
Fauteuil rouge : Donna UP 5 et UP 6, Gaetano Pesce, 1969, Ed. B&B Italia
Tripode vert : Allunaggio, Pier Giacomo, Achille Castiglioni, 1966, FRAC
La première lecture face à ces deux créations est celle de
l'opposition de leur volumétrie: pleine et ronde pour Donna, maigre et
filiforme pour Allunaggio.
La Donna, lorsqu'elle apparaît, remet profondément en question
à la fois l'apparence conventionnelle d'un siège par la référence au corps
humain et plus encore par la technologie employée. Cette technologie innovante
révolutionne la conception traditionnelle du produit: livré compressé dans une
membrane plastifiée, cela réduit l'encombrement de son stockage et en facilite
le transport et la livraison. Mais l'aspect innovant de cette création est
encore plus spectaculaire lorsque l'acheteur découpe la membrane et que le
corps de cette Donna émerge de son « placenta » comme une Eve naissante et
redondante dans laquelle il viendra confortablement se lover. Ici le siège
dépasse la simple fonctionnalité de l'assise pour provoquer chez son
utilisateur des appropriations comportementales offertes à tous les fantasmes
que la psychanalyse se chargera (éventuellement) de décrypter...
Inversement Allunaggio s'oppose, dans sa relation à l'espace,
en évoquant un alunissage dans la tranquillité, le calme, régnant, sous les
ombrages des jardins. Pensée et conçue trois ans avant que le LEM (Lunar
Excursion Module) transporté par la fusée Apollo 11 ne se pose réellement sur
la lune, l'œuvre est prémonitoire. Les frères Castiglioni auraient observé et
étudié, comme source d'inspiration, les références technologiques de la
conquête spatiale. Ils les traduisent, ici, avec un humour poétique, par cette
mini-assise reposant sur ce large trépied aux disques stabilisateurs, pour un
atterrissage sur un sol devenant par cette installation terre inconnue....
2 Géométrie variable
Fauteuil pliant : Trice Chair, Hannu Kähönen, 1987, FRAC
Tabouret : Siège pliant, 1920, Ed. Inconnue
Ces deux créations s'inscrivent dans les projets de mobilier
conçus pour l'espace mobile du voyage. De ce fait, ce mobilier implique des
contraintes complexes et rigoureuses, notamment dans la géométrie variable de
son encombrement, de son transport et de sa manipulation.
Le siège SP. répond de manière la plus économique et
radicale à ce programme par un assemblage de lattes de bois qui se déploient
pour l'assise et s'entrecroisent dans un seul plan pour un encombrement minimal
et un transport aisé. Destiné en principe aux pèlerins qui se rendaient à Rome
pour voir le pape, il offrait un confort réduit pour une posture attentive et
recueillie.
Le siège de Kähönen répond aux mêmes exigences de mobilité,
mais, inversement, en offrant dans cette géométrie variable un confort plus
sophistiqué. C'est le défi de son concept de construction qui, dans un volume
très réduit, déploie un prisme de tiges croisillonnées, habillées d'une toile
de spi. Ainsi sa légèreté exceptionnelle offre la possibilité d'accompagner son
propriétaire voyageur dans des lieux parfois peu accessibles, l'autorisant à
savourer un repos mérité, mais, à l'inverse du siège SP., dans des postures
confortables de salon.
3 Ascétisme / Esthétisme
En métal : Siège Mezzadro, Pier Giacomo, 1954-57, FRAC
En bois : Butterly, Sori Yanagi, 1957, Ed. Vitra
Butterfly est une réponse inscrite dans la culture japonaise
de l'espace et de l'objet. Il est aussi une exploration du matériau - ici du
bois - dans une mise en forme qui en exalte la matière et sa capacité
technique. Le double cintrage des plans de bois rassemblés par une fixation
centrale, offre une forme d'accueil ergonomique presque sacrée. Cette forme
interroge et met en scène le circuit mental qui l'a pensée et créée. Signalons
que cette démarche, soixante ans plus tard, est particulièrement éloignée de
celles que l'époque actuelle, face aux enjeux écologiques, pourrait inscrire
dans des procédures de récupération et de recyclage.
Mezzadro s'oppose dans sa conception à Butterfly parce qu'on
peut supposer qu'il relève, en se référant à certains enjeux artistiques soulevés
par l'œuvre de Marcel Duchamp, du concept de ready-made*. En empruntant
l'assise métallique d'un tracteur et en la déplaçant de son contexte mécanique
pour la mettre en scène sur un piétement à l'élaboration sophistiquée, les
frères Castiglioni provoquent un télescopage de références opposées. Ainsi ils
transfèrent non sans ironie le sujet issu « du champ » de la culture agricole,
vers celle de l'art mais aussi celle plus fonctionnelle et urbaine de
l'habitat.
*ready-made: objet produit industriellement exposé comme
œuvre d'art.
4 Radicalité / Littéralité
En métal : Chair, Robert Mallet-Stevens, 1928, Ed. Habitat
En bois : Supperleggera, Gio Ponti, 1951-57, Ed. Casino
Particulièrement perceptible dans cette confrontation, le
sujet « chaise » apparaît comme la référence absolue de la création pour tout
architecte intervenant dans ce qui constitue l'espace intime de l'habitation.
Elle est un objet sollicité en permanence par sa nécessité fonctionnelle
quotidienne, qui impose dans sa conception ergonomique de nombreuses exigences
et contraintes associées à son industrialisation.
Chair et Superleggera sont
deux stéréotypes emblématiques de la détermination d'une pensée théorique, de
sa démarche et de son accomplissement, face aux exigences d'une fabrication et
d'une commercialisation. Robert Mallet Stevens radicalise sa conception pour un
usage dans les espaces collectifs en utilisant l'industrialisation du tube
métallique que de nombreux architectes et designers vont explorer à cette
époque.
Conception initiée par les idées très progressistes de l'école
allemande du Bauhaus, affirmant, dans une esthétique du dépouillement, que la
forme doit être soumise à la fonction et à l'affirmation du matériau. Gio Ponti
procède de la même façon avec la même exigence et la même rigueur vingt ans
plus tard, mais en investissant, avec une maîtrise d'une complexité absolue, la
technique du bois. Les composants et les assemblages sont étudiés comme une
architecture, à la limite des capacités de résistance. L'élégance de sa
structure épurée, d'une extrême légèreté, l'identifiera tout en la qualifiant :
« super leggera ».
5 Soumission / Révolution
Couleur verte : Universal Model, Joe Colombo, 1965-67, Ed. Kartell
Couleur grise : Chaise Solid C2, Patrick Jouin, 2004, Ed. MGX by Materialise
De quelle manière intervient la technologie dans la démarche
du designer au cours de la procédure de fabrication et de mise en forme de son
projet ?
Universale Modèle est étudiée et produite lors de l'apparition
des matières plastiques qui vont révolutionner l'univers du design industriel.
L'injection de cette matière implique des moules complexes et volumineux. Afin
d'en réduire le coût financier, Joe Colombo décompose la chaise en plusieurs
parties en se limitant dans un premier temps à l'unité de base: siège, dossier.
Les quatre pieds identiques font l'objet d'un second moulage beaucoup plus
réduit et sont assemblés par la suite. Cette conception lui offre la
possibilité concevoir trois types de piètements : bas pour chauffeuse, normal
pour chaise basique et haut pour siège de bar.
Quarante ans plus tard Patrick Jouin s'investit dans la technologie
de l'impression en 3D (stéréolithographie) qui remet en question, en les
supprimant, toutes les contraintes traditionnelles du moulage et ses
obligations de volumétrie en dépouille. À travers cette liberté, Patrick Jouin
met en forme d'une création volontairement démonstrative et provocante par
l'entrecroisement de composants issus d'un graphisme crayonné qui donnent forme
à une « apparence » de chaise.
6 Lévitation / Contradiction
A gauche : Chaise Panton, Verner Panton, 1959-60 3ème édition, FRAC
A droite : Ed Archer, Philippe Starck, 1987, Ed. Triade
La chaise Panton, du nom de son auteur est la première
création qui incarne le sujet « siège » dans l'usage de la technique
d'injection spécifique aux matières plastiques que tous les designers tentaient
d'accomplir dès les années 1960. Elle impose une esthétique éliminant toutes
les références des piètements traditionnels, offrant enfin, après plusieurs
tentatives technologiques dans ce nouveau matériau, cette apparence tant
recherchée du corps assis en lévitation. Défi auquel il faut associer Marcel
Breuer, Mart Stam et Mies Van Der Rohe qui l'avaient déjà accompli vers 1928,
mais grâce à la technologie du tube métallique.
Citons le prototype de Gunnar Aagaard Andersen réalisé en
grillage et papier journal (1952) non abouti, mais qui a inspiré la version
accomplie de Verner Panton.
Philippe Starck va ironiser sur cette procédure de l'assise
qui met le corps en lévitation. En réalisant Ed Archer il construit une
structure gainée dont la forme se réfère à la chaise Panton mais en assurant
d'une manière provocante la stabilité sécurisée du siège par l'installation
d'une béquille imposante, renforcée par l'apparence de sa matière chromée.
7 Transparence / Apparence
Tabouret : Lucien, Emmanuel Bénet, James Tinel, 2003, ED. Achille
Fauteuil : Louis Ghost, Philippe Starck, 2001, Ed. Kartell
Louis Ghost et Lucien participent d'une démarche qui s'inscrit
dans une relecture de créations antérieures, répertoriées, stéréotypées.
Philippe Starck ré-analyse un siège classique de style attribué à l'époque
Louis XVI alors qu'E. Bénet et J. Tinel se concentrent inversement, dans un
engagement plus provoquant, sur le traditionnel tabouret en bois.
La
transparence de la matière plastique est particulièrement significative pour
réécrire ces sièges dans une nouvelle apparence, contemporaine. Elle rend ces
objets immatériels, distanciés de leur fonctionnalité, évacuant ainsi tout
encombrement visuel et donnant à l'utilisateur le sentiment de s'asseoir en
lévitation.
La nouvelle version du siège Louis XVI relève d'une esthétique
classique, appartenant a un registre d'un style historique classé et reconnu.
Celle du tabouret Lucien, objet modeste et d'une esthétique uniquement
fonctionnelle, prend une dimension plus innovante et provocante. Cette
réincarnation presque invisible le fait paradoxalement renaître, lui si souvent
ignoré.
8 Tube à l'étude
A gauche : Wassily, Marcel Breuer, 1926-27, Ed. Knoll
A droite : Love me tender, Didier Fuiza Faustino, 2000-2001, FRAC
Wassily identifie, par l'utilisation très rationnelle et
fonctionnelle des matériaux, les idées sociales progressistes que développait
l'école ou Bauhaus en Allemagne, à Weimar dans les années 1925. Le siège est
composé d'éléments séparés, d'une structure linéaire, tubulaire et de
garnitures en cuir rapportées, remettant en cause, par sa fonctionnalité
radicale affirmée, la conception de la production traditionnelle programmée
pour un public en quête de reconnaissance sociale. On ne peut analyser Love me
tender sans faire référence à celui de Marcel Breuer.
Bien qu'il soit d'un
diamètre très supérieur Love me tender se contorsionne selon un circuit qui
définit les composants-siège-dossier-piétement, avec des références aux angles
arrondis comme ceux de Wassily. Cependant, cette référence reste
essentiellement formelle et loin des préoccupations sociales et idéologiques de
Marcel Breuer, car, sur le plan de sa diffusion, l'objet se valorise par une
production limitée. Son édition quitte la conception de grande série pour se
déplacer vers celle de l'art et de sa spéculation marchande. Cette
confrontation apparaît particulièrement démonstrative de tous les territoires
auxquels se confronte le design sur les plans sociologiques, technologiques,
économiques, politiques, et bien sûr artistiques.
Le siège Wassily dans le
contexte de son époque, ne connut aucune reconnaissance de sa démarche altruiste
et sociale. C'est seulement dans les années 1965, au moment où la société de
consommation fera émerger, à travers les multiples productions, le concept de
design, que, paradoxalement, la firme américaine d'édition Knoll, dans une
version très « haut de gamme», le rééditera...!
9 Forme / Informe
A gauche : Sacco, Piero Gatti, Cesare Paolini, Franco Teodoro, 1968, FRAC
A droite : Richard III, Philippe Starck, 1981, Mobilier National Paris
Sacco est une pièce majeure de l'histoire du design. Son apparence
évacue tous les repères habituels : siège, dossier, accoudoirs, piètement. Il
offre la forme globale d'un sac composé de billes de polystyrène qui se soumet
à toutes les postures et toutes les morphologies. En faisant l'éloge du mou, il
déplace vers l'espace de l'habitat, celles relâchées et détendues de la plage,
en dérangeant l'ordre établi des conventions. Plus encore, en se référant au
philosophe Heraclite affirmant qu'« on ne se baigne jamais deux fois dans le
même fleuve », avec le Sacco « on ne s'assoit jamais deux fois dans le même
siège ».
Philippe Starck dans son projet Richard III fait également référence à
un mobilier où la mollesse du confort est présente. En découvrant le célèbre
siège club abandonné sur un trottoir et complètement déstructuré, il conçoit un
manifeste critique de sa conception. Il explore la technologie issue de
l'aéronautique propre à sa propre généalogie familiale et redessine en creux la
volumétrie d'apparence qui met en scène et dénonce les artifices redondants de
sa mise en forme et de sa production. Il baptise ce siège Richard III faisant
allusion à ce roi d'Angleterre célébré par Shakespeare pour sa difformité
physique et sa redoutable accession au pouvoir. Le choix de ce siège édité par
le Mobilier national et destiné au président de la République François Mitterand,
alors élu en 1981, peut, un court instant, inciter à méditer sur son
fondement...
10 Protection / Réception
A gauche : Miss Blanche, Kuramata, 1969, Centre National Arts Plastiques
Au centre : Tapis volant, Ettore Sottsass, 1975, FRAC
A droite : Teorema, Claude Courtecuisse, 1969, Galerie Velvet Paris
La confrontation de ces trois sièges pourrait se référer à
trois actions : projection, réception, élévation. Teorema est une version en
méthacrylate transparent du siège Mercurio réalisé en 1969 pour le Salon des
Artistes Décorateurs au Grand Palais à Paris. Sur la coquille supérieure du
siège est sérigraphié le portrait de l'acteur anglais Terence Stamp dans le
rôle de l'ange visiteur du film de Pasolini, Théorème. Ce film est une parabole
biblique contemporaine où cet ange visiteur va contacter « charnellement » tous
les membres d'une famille de la grande bourgeoise milanaise, afin de les
libérer de leurs conventions, les faisant renaître à leur nature et identité
profondes. Réalisé en 1967, il traduit dans sa métaphore provocante le
bouleversement des structures sociales, professionnelles et industrielles qui
ont identifié, dans le contexte international de cette époque, l'innovation
rayonnante du design italien. Selon les sources d'éclairage qui l'entourent, ce
siège, projette sur son environnement proche sa volumétrie ornementée,
élargissant sa présence dans l'espace habité.
Miss Blanche procède d'un scénario inverse. Kuramata conçoit
dans un premier temps un siège dont l'apparence formelle reste volontairement
traditionnelle. Moulé en résine acrylique transparente il « reçoit » sous forme
d'inclusion, des fleurs de pommier roses qui semblent flotter en lévitation
dans sa masse volumétrique. Ainsi, il fait venir dans la constitution de son
sujet ces références florales lointaines qui identifient le paysage japonais et
que tous les peintres ont depuis des siècles captées et reproduites.
Ettore Sottsass, dans les années 1985, durant lesquelles le
mouvement postmoderne va inspirer architectes et designers, met en scène un
siège en affirmant une disparité provocante dans l'assemblage de ses composants. Le siège et le dossier
ont des matières et des couleurs différentes et les accoudoirs, dont l'un a la
mollesse d'un coussin et l'autre la rigidité d'une structure en bois, sont
dissymétriques. Mais ce qui déplace totalement la perception de ce fauteuil,
c'est qu'il est associé au tapis carpette sur lequel il est posé. Dans ce jeu
de collages ironiques et poétiques, le siège s'associe à son environnement
habitable, élargissant ainsi les limites de son territoire conventionnel.
Baptisé Tapis volant, on attend impatiemment de le voir s'élever vers un «
voyage immobile »...
11 Citations
A gauche : Série 7, Arne Jacobsen, 1955, Ed. Fritz Hansen
Au centre : Tulip armchair, Eero Saarinen, 1956, Ed. Knoll
A droite : Chaise DSW Eiffel, Charles et Ray Eames, 1950, Ed. Vitra
Masters, Philippe Starck, 2009, Ed. Kartell
Dans Masters, Philipe Starck reste fidèle à une de ses procédures
de créations qui se construisent à partir de citations ou de références à des
œuvres existantes. Admiratif de Arne Jacobsen, Eero Saarinen et du couple
Eames, il décide de concevoir un siège dont la configuration reste relativement
classique mais dont le dossier, très linéaire, reprend la forme de celle de ces
trois célèbres sièges. Ainsi il procède d'une relecture de l'histoire du design
contemporain, ce territoire qui l'identifie, en lui témoignant la
reconnaissance et l'importance de ce qu'il développe et génère dans notre
univers quotidien.
12 Quand l'art s'emmêle
A gauche : La Chaise, Charles et Ray Eames, 1948, Ed. Vitra
A droite : Red and blue chair, Gerrit Rietveld, 1918-23, Ed. Casino
Ici, pas de confrontation. Les options qui ont orienté leur
conception dans le champ du design industriel les réunissent par les mêmes
choix d'influences, liées à des nouveaux mouvements artistiques de leur époque.
Le design de La Chaise échappe à la procédure particulièrement rigoureuse et
méthodique qu'ils s'imposent habituellement dans leurs démarches de designers.
Il offre une double lecture : sculpturale par ses formes et sa mise en scène -
comme s'il flottait dans l'espace - et fonctionnelle, par une volumétrie
modulée pour recevoir diverses postures. Amis de l'artiste français Gaston
Lachaise, immigré aux États-Unis et qui donnera son nom à l'œuvre, Ray et
Charles Eames élaborent le concept et la procédure de forme de l'assise en
explorant les références esthétiques de ses sculptures, esthétique influencée
par les tendances abstraites des années 1930 qui s'associe à celle d'autres
artistes tels que Hans Arp, Henry Moore ou Barbara Hepworth.
Rietveld procède
d'une démarche similaire en puisant son inspiration dans le mouvement
néerlandais De Stijl des années 1920 initié par l'architecte théoricien Théo
van Doesbourg. Il construit, en conciliant les contraintes ergonomiques d'un
siège, un assemblage à la fois primaire et structuré de plans et de tasseaux de
bois. L'assemblage est coloré de façon codée : rouge et bleu pour l'assise et
le siège, noirs pour les composants porteurs dont la section des extrémités est
teintée en jaune.
Cette œuvre, composée comme une démonstration didactique, se
réfère, dans le contexte historique de son époque, à la géométrie des peintures
de Piet Mondrian, transposée en trois dimensions. Cette référence est confirmée
par sa mise en forme dont les composants, fixés uniquement par collage, s'opposent
volontairement à la logique technique de construction des assemblages basiques
à mi-bois que tout artisan menuisier aurait professionnellement pratiquée.
13 Provocation
A gauche : Wire Chair DKR-Eiffel, Charles et Ray Eames, 1951, Ed. Vitra
A droite : Sassi, Piero Gilardi, 1968, FRAC
Cette confrontation démontre, par leur opposition extrême,
que cet espace de la pensée et de la création qu'est le design, est riche et
disponible à toutes les formes d'appropriations.
Wire Chair DKR repose sur un concept de design radical où
toutes les étapes de sa conception sont contrôlées et étudiées et constitue une
réponse exemplaire dans son accomplissement. La structure de son piétement en
tiges d'acier, assemblées en quatre pyramides triangulaires inversées, est
disponible pour recevoir plusieurs variantes d'assises : métalliques ou en en
matière plastique ABS, éventuellement gainée. En étudiant la configuration de
sa coquille à l'aide d'une structure grillagée, Ray et Charles Eames se sont
aperçus de l'unité qu'elle produisait avec la linéarité de son piétement. Ils
décidèrent d'en établir une version dénommée Tour Eiffel par l'analogie
formelle avec une autre structure célèbre. Piero Gilardi utilise la mousse dans
cette période faste où l'exploration des matières plastiques monopolise l'univers
européen du design de produit. Fidèle au baroque de cette Italie rayonnante
dont il est originaire, il réalise d'abord des fragments de paysage qu'il
dénomme : tapis nature.
Ces créations sont en mousse souple issues de moulages
hyperréalistes d'espaces naturels tels que des clairières avec chablis,
branchages, ou des jardins potagers avec alignements de salades. Puis, ces
tapis sont installés à l'intérieur de l'habitation, bouleversant ainsi, par ce
déplacement des territoires, l'ordre des codes et des repères établis. Sassi
est le moulage d'un rocher. Ce fragment de montagne, devenu siège, installé au
milieu du salon interroge l'espace par sa présence insolite et anachronique.
Paradoxalement, il surprend et offre la sensualité rassurante d'un confort
épicurien.
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Textes de Claude Courtecuisse 15/02/2016
Fauteuil Richard III (aluminium garni de cuir fauve) : ©
Isabelle Bideau • Miss Blanche (pied en aluminium ; siège, dossier et
accoudoirs en résine acrylique avec inclusion de fleur en papier ) : © droits
réservés/ Cnap/photo : Galerie Yves Gastou • Ed Archer (coque en tube d'acier
avec des éléments élastiques, pied postérieur en fusion d'aluminium poli
revêtement fixe en cuir) : © droits réservés Driade • Masters (polypropylène) :
© droits réservés Kartell ■ Chaise Solld C2
(stéréolithographie) : © Thomas Duval • Donna IIP 5etUP6 (mousse de
polyuréthane moulée recouverte de tissu stretch) : © droits réservés/B&B
Italia • Teorema (méthacrylate thermoformé et sérographié) : © Claude
Courtecuisse • S.P Siège Pliant (hêtre) : © Claude Courtecuisse • Tabouret
Lucien (dacryl : résine acrylique) : © Claude Courtecuisse • Trice Chair (fibre
de verre et toile de nylon) : © droits réservés Collection Frac NPCD • Sassi
(polyuréthane expansé et peint) : © Piero Gilardi Collection Frac NPCD • Love
me tender (acier inox) : © Adgap, Paris Photographe : Mario Parodi • Tapfe
volant (bois, polyuréthane et velours) : © Adgap, Paris Collection Frac NPCD •
Sacco (cuir et billes de polystyrène) : Arch Franco Teodoro Collection Frac
NPCD • Allunagio (piétement en tube d'acier émaillé, assise en aluminium) : ©
Archivio A.Castiglioni, P. G. Castiglio-ni, P. Manzu. Photographe M. Anssens
Collection Frac NPCD • Mezzadro (pied en porte-à-faux en acier chromé, assise
de tracteur en acier embouti, base en hêtre naturel) : © Archivio
A.Castiglioni, P.G. Castiglioni, P. Manzu. Photographe Muriel Anssens
Collection Frac NPCD • Louis Ghost (injec¬tion de polycarbonate en moule
simple) : © droits réservés Kartell • DKR (acier chromé) : © droits réservés
Vitra • DSW (coque en polypropylène, piétement bois d'érable avec croisillons)
: © droits réservés Vitra • La Chaise (coques de fibre de verre, piétement
acier, croisillon de piétement en chêne naturel) : © droits réservés Vitra •
Red and Blue (structure hêtre laqué, assise et dossier en placage laqué) : ©
droits réservés Cassina • Superleggera (châssis en frêne naturel laqué noir,
assise en cannage des indes) : © droits réservés Cassina • Série 7 (siège en
contre-plaqué moulé, placage en teck, piétement en tube cintré chromé) : ©
droits réservés Fritz Hansen • Tulip (piétement en fonte d'aluminium gainée de
plastique, assise : coquille en fibre de verre moulée) : © droits réservés
Knoll • Butterfly (contre-plaqué moulé, tendeur en laiton) : © droits réservés
Vitra • Wassily (châssis en tube d'acier cintré et nickelé, siège et dossier en
cuir) : © droits réser¬vés Knoll • Chaise Unlversale (plastique moulé par
injection) : © droits réservés Kartell • Chaise Panton (polyuréthane) : ©
Marianne Panton Collection Frac NPDC.
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encyclopédie du Design, E. Morter (ed. Solar)
- Histoire des
objets, Chroniques du design industriel, R. Guidot (Hazan)