Alors qu’est-ce qu’on fait de (pour) la villa Cavrois ?
La Voix du Nord du dimanche 6 et du lundi 7 juin 1993
La question reste posée. Il n'y a toujours pas de réponse et elle s'enfonce lentement mais sûrement, dans la décrépitude. Jacques Donnay a réaffirmé le désengagement du département.
La villa Cavrois. Encore et encore. Son sort, toujours pas scellé, semble désormais intéresser beaucoup de monde, à en juger par l'importance du public présent mardi soir à cette réunion du club Communication et Futur, qui posait la seule, vraie et unique question qui s'impose : « Y-a-t-il une planche de salut pour la villa Cavrois conçue, au début des années 30, par l'architecte Mallet Stevens à Croix ? ». La question se pose depuis quelques années maintenant, et chaque année avec un peu plus d'acuité, car le temps fait son œuvre. Et les atermoiements n'arrangent rien.
Si cette réunion n'a pas vraiment vu avancer les choses - les choses avanceront le jour où il y aura une volonté, vraisemblablement politique, car on ne voit pas bien désormais qui d'autre qu'une collectivité locale pourrait reprendre le dossier, et il y faut des décideurs doublés de financeurs - elle a bien fixé les choses : les enjeux, les difficultés et le risque premier qui est que la maison soit victime du temps et finisse non pas en beauté, mais en mocheté hélas, défigurée, rasée, écroulée, décrépite et irrécupérable, abandonnée, anéantie.
Non-assistance à patrimoine en danger
L'enjeu est simple : faut-il ou ne faut-il pas sauver la maison Cavrois ? Les architectes disent qu'il faut, parce qu'elle est un pur produit d'un modern'style architectural, illustré par Mallet Stevens. Parce que « qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, elle a quelque chose d'unique, que c'est un bâtiment modèle à un tournant décisif de l'histoire de l'architecture ». D'ailleurs, classée un peu à la hâte en 1990, elle fait désormais partie du patrimoine... Mais qu'a-t-on fait du patrimoine en question ? Alors d'aucuns pensent qu'elle est moche - oui moche - et que c'est seulement au nom de l'histoire, l'histoire de l'architecture, qu'il faudrait la sauver, hors d'un débat tournant autour du bon ou du mauvais goût, comme un témoignage d'une époque donnée. Et ils sont nombreux ceux qui se demandent pourquoi aucun texte légal ne prévoit « la non-assistance à patrimoine en danger ». Série de questions donc : la maison jaune a-t-elle de l'intérêt ? Mérite-t-elle alors d'être conservée (et maintenant on en est au stade de la sauvegarde) ? Par qui ? Pour quel usage ? Comment ? Avec quels moyens ?
Descendant de la famille à l'origine de la construction, M. Christophe Cavrois dit : « cette maison que j'ai entendu critiquer toute ma vie durant, ne plaisait pas ».
En 1986, lorsqu'elle fut vendue, à la mort de la veuve de Paul Cavrois qui l'avait fait construire en 1929, Robert Mallet Stevens, l'architecte, n'était plus connu ; du moins pas à la mode ; la maison ne faisait pas recette (mais elle est construite sur un peu plus de deux bons hectares, ce qui avait de quoi exciter des convoitises), et le maire de Croix, M. Debeunne dit la même chose : « Tout le monde s'y intéresse aujourd'hui, ce n'était pas vrai il y a quelques années. »
Péril en la demeure
Et depuis 1986, depuis la vente à la SCI Kennedy-Rous-sel, rien n'a été fait, les deux hectares et quelques n'ont pas été lotis (trois permis de construire ont été refusés), mais la maison n'a pas non plus été protégée (de même qu'elle n'a pas été démolie et elle est désormais inscrite) : elle se délabre un peu plus de jour en jour ; les meubles ont été dispersés, vendus aux enchères ; l'immeuble est à l'abandon.
Les vandales, le temps et les intempéries s'en amusent et s'en moquent.
Une association de sauvegarde on le sait s'est constituée. Éric Laurent, son président, fait quelques souhaits : qu'elle devienne propriété d'une collectivité publique : que des mesures de sauvegarde soient prises, pour assurer la sécurité et la salubrité du quartier (car c'est devenu la maison des courants d'air) ; et qu'en priorité absolue, on en assure le clos et le couvert qui sont garants de sa survie. Mais cela pour quelle destination ?
Le département s'y était intéressé ; l'agence d'urbanisme aussi et Francis Ampe qui était là a précisé qu'elle aurait aimé, l'agence d'urbanisme de la CUDL, plonger ses racines dans ce symbole de l'alliance du patrimoine et de la modernité. Cela ne s'est pas fait.
Le point de vue de Jacques Donnay
Le président du conseil général du Nord (cette assemblée avait envisagé d'acheter l'immeuble il y a un an, mais entre-temps la majorité a changé) est net et précis :
« Nous ne sommes pas engagés pour cet achat, que cela soit bien clair ». Et de préciser que l'achat (on parle toujours de 4 millions) « n'est rien par rapport aux dépenses qu'il entrainerait pour la remise en état du bâtiment, sa restauration, et plus tard son fonctionnement, son entretien ». Et cela pour quelle utilisation ? Il est formel
M. Donnay : acheter et rénover la villa Cavrois, c'est la valeur d'un collège, « entre 50 et 60 millions ». Des collèges il n'y en a 206 dans le département qui à ses yeux n'a pas les moyens d'entretenir une danseuse : « Nous sommes dans l'impossibilité financière de prendre en charge ce dossier ».
Alors il se dit prêt à participer à un montage financier permettant dans un premier temps de mettre hors d'eau et en sécurité le bâtiment, mais rien de plus : « Il s'agit de sommes qui dépassent très largement nos moyens ; des richesses patrimoniales à sauvegarder il y en a beaucoup dans les 652 communes du département et là n'est pas la priorité ».
Cinquante millions cela semble beaucoup à certains, et Francis Ampe notamment s’arrêterait à 18 ou 20, ce qui n'est déjà pas si mal. Deux architectes qui à Hyères ont restauré la villa de Charles et Marie Laure de Noailles commandée au même Mallet Stevens en 1923, six ans avant la maison de Croix achevée en 1932, sont venus apporter leur témoignage, disant notamment qu'il n'est pas trop tard pour agir.
Une volonté suffit. D'où viendra-t-elle ? Et manquerait-on de volonté ?
J-C.R.