Un article de Rebecca Gross le 30 avril 2020 dans Houzz
Les patients atteints se sont vu prescrire du soleil et de l'air frais, influençant l'architecture moderne.
Le mouvement moderne du début du XXe siècle est apparu au lendemain d’une pandémie de tuberculose. À l’époque, la maladie, surnommée « la grande faucheuse », était la principale cause de mortalité et ceux qui pouvaient se le permettre sont allés se faire traiter dans des sanatoriums, où ils avaient accès aux effet curatifs du soleil, de l’air frais et du plein air.
Influencés par l’époque dans laquelle ils vivaient, les architectes modernes, dont des grands noms comme Le Corbusier ou Alvar Aalto, étaient obsédés par la maladie et ont développé un nouveau genre d’architecture qui prend en compte le soleil, l’air et le plein air, ainsi qu’un mode de vie plus hygiénique.
Tout au long de l’histoire, les épidémies ont influencé la conception de nos intérieurs, de nos bâtiments et villes. Dans les années 1800, les conditions insalubres dans les villes surpeuplées ont contribué à la propagation du choléra, causant plusieurs pandémies. Cela a notamment stimulé le besoin de nouveaux systèmes de plomberie et d’égouts, et a été à l’origine de nouvelles lois de zonage pour éviter les habitats surpeuplés.
La tuberculose et la pneumonie étaient parmi les principales causes de décès au début des années 1900 dans des pays comme les États-Unis, l’Angleterre, l’Écosse et l’Australie. À cette époque la population de ces nations vivait généralement dans des logements et immeubles datant de l’époque victorienne. Ces habitats étaient composés de bois massif, de meubles tapissés, de tapis, tentures et longs rideaux, ainsi que de nombreux petits objets encombrants. Les petites fenêtres de ces maisons limitaient également l’entrée de la lumière naturelle et la bonne ventilation des lieux. De plus, les détails des menuiseries se sont avérés être de vrais nids à poussière.
La tuberculose était très contagieuse et l’isolement, comme aujourd’hui, était la clé de la prévention. Aux patients atteints, les médecins prescrivaient du repos, une alimentation saine, du soleil et de l’air frais. De nombreux patients aisés ont cherché à se faire traiter dans des sanatoriums, comme celui d’Adirondack Cottage dans le nord de l’état de New York, aux États-Unis. Ce fut la première maison de repos pour les patients atteints de tuberculose aux États-Unis, créée en 1885. Ici, les malades pouvaient être soignés dans un environnement ouvert, vert et plus rural ; soit à l’opposé de la densité et des conditions urbaines surpeuplées des villes de l’époque.
Les classiques chaises Adirondack étaient présentes dans beaucoup de maisons de convalescence installées dans les montagnes d’Adirondack, dans l’état de New York, car les soignants les jugeaient bien adaptées aux patients atteints de tuberculose. Ils pouvaient ainsi s’asseoir en extérieur et récupérer à l’air frais.
Les sanatoriums étaient à l’origine des cottages situés dans des régions montagneuses, mais ils ont évolué afin de devenir des bâtiments spécialement conçus pour aider la guérison et limiter la propagation de la maladie. Le traitement de la tuberculose et la conception des sanatoriums ont influencé le développement de l’architecture moderne, notamment tel que la conçoivent des architectes comme Le Corbusier, Mies van der Rohe et Alvar Aalto.
Ils voulaient créer une nouvelle forme d’architecture qui aiderait à prévenir la tuberculose, mais aussi à résoudre d’autres problèmes sociaux comme le besoin de logements à bas prix et l’amélioration des conditions de vie pour le plus grand nombre.
Le Corbusier, par exemple, était tellement obsédé par la maladie et l’hygiène que sa Villa Savoye (photo ci-dessus) en France, conçue en 1929, dispose d’un lavabo pour le lavage des mains au niveau de son entrée.
Le Corbusier considérait également la lumière et l’air frais comme étant thérapeutique. Les toits plats et végétalisés, comme celui de la Villa Savoye, sont donc devenus l’un des « cinq points de l’architecture moderne » qu’il a identifiés.
Formulés dans les années 1920, les cinq points de l’architecture moderne de Le Corbusier ont constitué un ensemble de principes qui ont inspiré ses conceptions :
1. Les pilotis qui surélèvent le rez-de-chaussée du bâtiment par rapport au sol.
2. Le plan libre pour permettre un mode de vie flexible.
3. La façade libre, indépendante de la structure.
4. Les fenêtres en bandeau pour faire entrer la lumière et ouvrir la vue.
5. Le toit-terrasse qui protège le béton en plus de son utilisation domestique.
L’architecture moderne primitive était caractérisée par des lignes épurées, des surfaces blanches, de grandes étendues de verre et une relation entre intérieur et extérieur. Si elle a souvent été décrite comme une esthétique « mécanique », des universitaires, comme l’historien en architecture, théoricien et conservateur Beatriz Colomina (auteur de X-Ray Architecture) et le doyen du pôle Architecture de l’université de l’Arkansas Peter MacKeith, soutiennent qu’il s’agit plutôt d’une perspective hospitalière, esthétique et humaine. Cette conception de l’intérieur favorise en effet un environnement plus ouvert et plus hygiénique.
Le design moderne des meubles y contribue également. Composé de matériaux tels que l’acier inoxydable et le cuir, les meubles sont élevés sur pieds pour faciliter leur déplacement, le nettoyage de leur environnement et dégager la vue.
Les fauteuils inclinables, comme la chaise longue LC4 conçue en 1928 par Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret, sont aussi plus nombreux à cette époque avec leur esthétique résolument moderne. Ils s’inspirent des chaises inclinables que l’on retrouvait dans les sanatoriums, pour pouvoir surélever les jambes afin de faciliter la circulation du sang.
En 1932, Alvar Aalto a conçu le sanatorium Paimio en Finlande, qui allie modernisme et santé. Le bâtiment multiplie les balcons et les fenêtres surdimensionnés pour les vues, la lumière et l’air frais. Alvar Aalto a aussi pensé les intérieurs, le mobilier et les accessoires dans le but d’aider la guérison des patients.
Au fil du XXe siècle, les traitements pour la tuberculose et les autres maladies infectieuses ont évolué avec le développement de vaccins, d’antibiotiques et de médicaments antiviraux.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population vit en ville et ce chiffre devrait augmenter au cours des prochaines décennies. Les populations urbaines passent en moyenne 90 % de leurs temps en intérieur, et ce même avant la pandémie de coronavirus.
La maladie a contribué à la création d’une nouvelle forme d’architecture au tout début du XXe siècle, qui continue d’inspirer l’architecture contemporaine. À l’époque, et aujourd’hui, l’isolement aidait à limiter la propagation des maladies infectieuses, comme le coronavirus. Il pourrait donc une nouvelle fois influencer l’architecture des maisons et immeubles, alors que les populations urbaines et les développements augmentent en densité.