Le Palais Stoclet dans la revue l'Architecte

En mars 1924, un article consacré à " Un Hôtel particulier à Bruxelles " est publié dans la revue l'Architecte qui reparaît après 10 années d'interruption. 

Il s'agit d'un texte de Robert Mallet-Stevens, paru de façon anonyme, dont l'original a été retrouvé (voir ici) au sujet de cette construction, connue sous le nom de Palais Stoclet. 

Un Hôtel particulier à Bruxelles 

Josef HOFFMANN, architecte


L'hôtel de M. Stoclet a été bâti en 1907, à une époque où le modern style titubait déjà, mais où rien de neuf n'avait été conçu ; pendant cette période de transition, d'études, de recherches, il était infiniment réconfortant de voir édifier un ensemble aussi complet.


Le terrain dont disposait le professeur Hoffmann, magnifique comme situation, avait une forme très découpée, très difficile à utiliser.



Comme on peut s'en rendre compte parle plan que nous reproduisons, ce plan est le triomphe des axes ; aussi décrochés qu'ils paraissent, les axes règnent partout, donnant à chaque pièce un équilibre, un calme parfait.



L'étude en a été si poussée que tout paraît non seulement normal et logique, mais indispensable.

Le Château de Maisons-Laffitte de Mansart peut à ce titre lui être comparé. En retrait sur l'alignement de l'avenue, l'hôtel est précédé d'une galerie couverte couronnée par une Minerve de Powolny (fig. 23).



On entre alors dans un vestibule (fig. 28) dallé de marbre, aux parois de marbre, dont la partie haute forme une succession de petites niches éclairées et recevant des vases d'or. 



Ce vestibule assez intime donne accès au hall, le centre de la construction. Le hall (fig. 25 et pl. XX) s'affirme vers l'avenue en arc de cercle largement éclairé et s'ouvre de l'autre côté sur le jardin par de grandes baies. Toutes ces baies sont divisées par des petits bois sculptés.



La partie centrale du hall monte jusqu'au plancher haut du premier étage. Des piliers de marbre s'élancent du sol en marqueterie de bois précieux vers le plafond à caissons concentriques lumineux. Les murs sont recouverts de marbre. Dans la partie circulaire une fontaine de marbre porte une statuette du sculpteur Mine, de Gand. Une partie du hall forme galerie et entre les piliers qui limitent cette galerie sont disposés de grandes vitrines à doubles faces. Un grand escalier de marbre part des travées du hall. Sous cet escalier un coin intime a été réservé avec une cheminée dont la partie haute est une plaque d'onyx.


D'une autre travée du hall, des marches descendent vers la salle de musique (fig. 29), vaste pièce allongée, en marbre vert, avec peintures décoratives de Knopf, le regretté peintre belge. Une galerie correspondant au premier palier de l'escalier borde un des côtés de cette salle. Dix fenêtres basses représentent, en vitraux de verre spéciaux blancs, Apollon et les neuf muses.


Une scène demi-circulaire limite la salle. Les parois de la scène sont faites des tuyaux de l'orgue placés dans l'axe de la scène vers le fond.


La galerie du hall se termine vers le bureau, grande pièce au parquet de chêne noirci, aux murs blancs percés de vitrines.


Faisant face à la salle de musique, une baie donne accès à la grande salle à manger (pl. XXI). 



Cette salle en longueur est éclairée au fond par deux baies en pans coupés séparées par une petite fontaine. Ici encore le marbre harmonieusement ordonné enrichit une partie des murs et le sol. Sur chaque grande surface murale sont incrustés des mosaïques du peintre Klimt, mosaïques de marbre, de métaux ouvrés, d'émaux. Deux grands dressoirs de marbre sont encastrés entre les piles des murs, faisant corps avec la construction. Faisant suite à cette pièce se trouve la petite salle à manger, plus intime. Le sol est recouvert de tapis noir parsemé de points blancs. Les murs à pans coupés sont revêtus de panneaux de bois sculpté, laqué blanc, jaune et noir représentant des entrelacs de roses géométriques.


L'office tout en carrelage blanc communique avec la cuisine. De grandes dimensions, la cuisine est entièrement carrelée en blanc, sol, murs, plafond ; les fourneaux sont émaillés blancs, toutes les parties métalliques et la batterie de cuisine sont nickelées. Un second escalier conduit au premier étage, avec cage centrale montant à la française autour de quatre piliers de marbre. C'est cet escalier qu'on voit sur la façade, affirmé par une grande baie verticale dans la tour.


Au premier étage, une grande chambre entièrement en bois de palmier, sol, murs et plafond voûté, un boudoir laqué noir et blanc avec armoires, tiroirs, glaces, une salle de bains forment l'appartement principal. La salle de bains est entièrement en marbre (fig. 27), de petits panneaux de mosaïques de pierres du Rhin et d'Auvergne, représentant des poissons très colorés.



Dans l'axe de la maison, au centre de l'édifice, est placée une salle de collections. Les parois en bois précieux forment vitrines et tiroirs à estampes.


Ensuite, nous trouvons une chambre de jeune fille entièrement en citronnier avec plafond à petits compartiments et bains de marbre noir et blanc ; une chambre d'enfants à deux lits. Les parois de cette chambre sont laquées blanc dans la partie basse et tout le haut est traité en frise décorative où le vert domine, exécutée par Cheska ; cette frise représente des animaux et la composition pleine d'unité est différente d'un bout à l'autre. Une autre chambre, un office et une salle de bains terminent le bâtiment, une salle de musique pour les enfants est située devant la chambre de jeune fille.


L'escalier de la tour, seul, conduit à l'étage supérieur; quatre chambres d'amis entièrement revêtues de bois laqué avec alcôves, armoires, lavabos encastrés, plafonds à caissons, une salle de bains et une salle d'études pour les enfants complètent cette partie de l'habitation.


A la suite les chambres de domestiques, bains, lingerie, sont desservis par une galerie. Hoffmann a dessiné toutes les toiles des rideaux et dessus de lits de ces chambres ; tous les dessins sont différents. A partir de cet étage, l'escalier de la cour, tout en chêne noirci, monte à travers des barreaux de chêne noirci vers la porte de marbre qui donne accès à la plate-forme de la tour.


Tout le bâtiment est en briques, planchers doubles en ciment armé, piliers au ciment armé. Doubles fenêtres partout. Radiateurs dans l'allège des fenêtres.


Tous les conduits : fumée, chauffage central, eau chaude, eau froide, descentes, électricité, nettoyage par le vide, téléphone, sont invisibles, aucune gaine ne peut même être soupçonnée. Deux chaudières assurent le chauffage, une servant de secours. Toute cette installation intégralement dissimulée n'a jamais été à revoir depuis 1907 : aucune panne, aucune fuite. Le toit était entièrement en cuivre. Les Allemands lors de l'invasion de la Belgique ont volé toute la toiture et toutes les grilles des allèges des fenêtres dissimulant les radiateurs. Un paratonnerre de Melsen isole la construction en cas d'orage. Toutes les menuiseries laquées sont en teck.


Extérieurement, les murs ont reçu sur toute la surface de la maison un revêtement de plaques de marbre blanc à joints alignés. Tous les angles sont cernés par un boudin ininterrompu d'acier moulé noir et or d'un très beau dessin géométrique. Là encore aucune fausse coupe, sur les onglets le dessin se continu normalement sans coupure et tous les motifs sont alignés à la même hauteur. Les terrasses sont recouvertes en mosaïque de marbre.


Le soubassement est en granit bleu de Belgique d'une taille légèrement striée verticalement. Une barrière en fer forgé limite la propriété vers l'avenue.


Un grand garage est accolé à la maison, avec cour de lavage. La façade principale est sur le jardin. Grâce au judicieux tracé adopté, ce jardin de dimensions moyennes donne l'illusion d'un vaste parc. En sortant du hall, on trouve une grande terrasse en partie abritée et dans l'axe, après avoir descendu quelques, marches, on arrive au bassin. Une colonne octogonale de granit laisse tomber une nappe d'eau en forme de parapluie ; cette nappe est percée par les jets verticaux de quatre colonnettes basses. Deux pergolas de marbre blanc encadrent le bassin et sont axées, l'une sur les fenêtres de la salle de musique, l'autre sur la petite salle à manger.


A l'extrémité de cette dernière pergola, on accède par trois marches au tennis, lequel est dominé par une terrasse avec pavillon de thé tout en bois sculpté et laqué.


Dans l'axe de la maison, au-delà du bassin, une grande allée limitée par des charmilles avec niches de verdure s'étend jusqu'à la limite de la propriété.


L'hôtel Stoclet a été très discuté, très admiré, très combattu. Tous pourtant ont été unanimes pour reconnaître : 1° que son plan était excellent ; 2° que sa construction (en tant que mise en œuvre de matériaux) était parfaite ; 3° qu'on ne pouvait plastiquement rattacher cet édifice à aucun style connu c'est-à-dire que les formes, la silhouette, les volumes étaient bien nés du cerveau d'un homme, de son imagination, sans emprunt aux chefs-d'œuvre déjà vus.


Le rythme des façades, la vie des reliefs taillés à grands pans, la sobriété placide de la silhouette générale, l'harmonie des pleins et des vides malgré des procédés de construction classiques ou presque, font de cet hôtel une œuvre qui restera.