On sait que c'est à partir d'un échantillon rapporté de son voyage à Hilversum aux Pays-Bas que Mallet-Stevens va faire réaliser 26 moules différents (comme les 26 lettres de l'alphabet) pour obtenir des briques qui s'adaptent à toutes les situations.
Une lettre de Willem Dudok à Robert Mallet-Stevens
Le 11 juillet 1929, Willem Dudok réponds à une lettre que Robert Mallet-Stevens lui a adressé 2 jours plus tôt, au sujet des briquettes de parement utilisées pour la réalisation de l'Hôtel de ville d'Hilversum.
C'est l'entreprise Bonzel, basée à Haubourdin dans le Nord, qui va réaliser cette production. Les dimensions d'une briquette a comme format de base 22 x 5,5 x 3 cm, qui constituent les mesures de référence de toute la villa en hauteur, largeur et longueur.
La pannerie Bonzel (une panne, dans le vocabulaire local, désigne une tuile) est tentaculaire. En dehors des produits à base de terre cuite, elle fabrique aussi bien du bleu de céruse que du sucre, distille de l’alcool et cuit, chose rare pour l’époque, du bon pain de froment pour ses nombreux ouvriers. Au milieu du XIXème siècle, elle en emploie de 4 à 500. Elle fabrique aussi de belles briques vernissées et de la céramique encore visible de nos jours sur de nombreuses façades haubourdinoises et les briquettes de parement de la Villa Cavrois.
Elles s'inscrivent dans le cadre du tracé régulateur spécialement fabriqués pour la Villa Cavrois. Les modèles de base ont été produit par extrusion en filière où la terre est compressée dans une machine et les modèles spéciaux pressé dans des moules.
Toute la noblesse du métier de briqueteur
Un article paru dans Renaissance Lille Ancien apporte un éclairage complémentaire au sujet de ces briquettes de parement.
Restauration de la Villa Cavrois : Un maçon témoigne
Après des années d’abandon et être passée à deux doigts de la disparition, la Villa Cavrois, œuvre « manifeste » de l'architecte Robert Mallet-Stevens, s'avère aujourd'hui comme un des joyaux du patrimoine architectural de la métropole lilloise ! Nous ne reviendrons pas sur les errances qui ont précédé son achat en 2001 par l'État ; nous nous contenterons de n'évoquer dans ces lignes que sa nouvelle vie qui commence alors par des premiers travaux de sauvegarde sous la conduite de Pierre Cusenier, architecte des bâtiments de France.
Par la suite, la DRAC confie les travaux de restauration du clos et du couvert ainsi que des structures du bâtiment à Michel Goutal, architecte en chef des monuments historiques. En 2008, le Centre des Monuments Nationaux engage l'achèvement de cette campagne de restauration avec la mission de mise en valeur et de présentation au public du monument et de son écrin, le parc.
Voilà pour les acteurs de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre.
Une heureuse rencontre avec Gilles Fournier, va nous permettre de rentrer dans la matérialité de ce bâtiment. Maçon, Gilles Fournier a été, pour le compte de l'entreprise Rabot Dutilleul, en charge des travaux de restauration de la maçonnerie de la villa.
Alors qu'il est responsable de l'après-vente du groupe régional de BTP, il travaillera durant près de dix ans à cet énorme chantier qu'il qualifiera comme sa " récréation ", tellement il y déploiera sa passion pour le bel ouvrage au service d'une œuvre extraordinaire.
Il y eut tout d'abord la période des diagnostics qui constatèrent de nombreuses fissures sur l'ensemble des façades, plus particulièrement sur les angles, et celles dues aux décollements des plaquettes de parement en bordure des acrotères béton. Les raisons en seraient une difficile cohérence dimensionnelle entre la structure béton et le parement de briquettes.
L'entreprise de Léon Planquart à Roubaix
Deux entreprises se sont effectivement succédé sur le chantier initial de gros œuvre en 1930 : l'entreprise Auger et Bonnet (Paris), pour le béton armé de la structure et les maçonneries de remplissage, et l'entreprise Léon Planquart (Roubaix), pour les plaquettes de briques de parement. Aux endroits où le béton était trop près de la façade, la plaquette venait trop près des fers affleurant le béton et aux endroits inverses, où la structure était trop en retrait, l'espace était compensé par une épaisseur de terre cuite supplémentaire. Dans les deux cas, l'action du gel-dégel a fait son effet sur ces points de faiblesse et a entraîné des fissurations.
Aucun joint de dilatation n'avait été réalisé initialement pour l'ensemble de la villa, pourtant longue de près de 60 mètres ! La structure a donc travaillé au cours des saisons, provoquant également des fissurations complémentaires.
Le travail conceptuel de Mallet-Stevens est remarquable dans le fait que toutes les côtes du bâtiment sont ajustées au gabarit de l'unité de la brique, ce qui a permis de n'avoir aucune découpe de briquette, un exploit vu la taille de l'immeuble et le grand nombre de situations de détail de maçonnerie.
Pour mieux comprendre la suite, commençons par décrire le complexe de maçonnerie composite généralisé sur la totalité du bâtiment. La composition, de l'extérieur vers l'intérieur, en est la suivante :
• Plaquettes de parement en briques beiges de 3 cm posées sur bain de mortier
• Enduit de 3 cm
• Remplissage en briques pleines de 22 cm
• Ossature poteaux béton
• Vide
• Brique plâtrière
• Plâtre
• Finition intérieure.
La briqueterie Bonzel, d'Haubourdin, avait fabriqué les vingt-six formats de plaquettes de briques de parement. Le format standard est de 21,5 x 10,5 x 5,5 cm (4,5 cm pour les briques de surface horizontale). Il y en a des droites, des courbes, des plates, d'angle, de pavement.
Le calepinage de la brique de façade a été dessiné par Mallet-Stevens pour affirmer l'horizontalité dans sa conception d'ensemble : l'appareillage des briques de parement ne laisse apparaître que les panneresses **; les joints horizontaux, de 2 cm de hauteur, assez creusés, sont peints en noir, alors que les joints verticaux, d'un centimètre de large seulement et affleurant à la surface, sont constitués d'un mortier à base d'agrégats jaunes, les confondant avec le jaune de la brique de parement. Ce principe est appliqué sur toutes les surfaces verticales, y compris sur les formes courbes et poteaux ronds, donnant ainsi une grande unité et une rigueur d'écriture à cette villa.
A l'occasion de la récente restauration, une vingtaine de nouveaux modèles a été fabriquée par
Trois natures de terre ont été utilisées et de nouveaux moules réalisés.
La reprise des maçonneries et parements endommagés a été complétée par la mise en œuvre de joints de fractionnement initialement non prévus.
Ceux-ci sont quasi-invisibles en façade grâce au joint de silicone remplaçant le mortier. La villa, mieux à même d'affronter les injures du temps, peut aborder désormais une nouvelle vie.
Pour prolonger ces quelques notes, nous recommandons la visite de la " matériauthèque ", installée en sous-sol, dans la cave à vins. Y sont présentés non seulement quelques modèles de briques mais aussi toute sorte de matériaux de second œuvre, marbres, faïences, matériel électrique ou ferronnerie démontrant la modernité et l'exigence d'avant-gardisme dans le confort et les équipements de vie domestique mis en œuvre par Mallet-Stevens à la demande de son riche commanditaire Paul Cavrois.
Michel Bonord
** Panneresse : brique présentant sa plus longue face par opposition aux boutisses.
Quelques dates
1929 : Commande de Paul Cavrois à Robert Mallet-Stevens
1930 : Voyage de Paul Cavrois et de son fils avec Robert Mallet-Stevens à Hilversum pour voir l'hôtel de ville en cours de réalisation par l'architecte Willem Marinus Dudok
1932 : Fin des travaux de construction de la villa
1935 : Robert Mallet-Stevens est nommé directeur de l'École des Beaux-Arts de Lille
De 1940 à 1944 : Occupation par l'armée allemande
De 1947 à 1959 : Adaptations par l'architecte Pierre Barbe
1987 : Fin de l'usage de la villa par la famille Cavrois
1990 : Création de « l'Association de Sauvegarde de la Villa Cavrois » et classement monument historique
2001 : Acquisition par l'État
13 juin 2015 : Ouverture au public
Bibliographie
Robert Mallet-Stevens, architecte, sous la direction de Jean-Pierre Lyonnet, éditions 15 Square de Vergennes, Paris 2005
Richard Klein. Robert Mallet-Stevens. La Villa Cavrois. Éditions A et J. Picard. Paris 2005
Richard Klein, La Villa Cavrois, éditions du Patrimoine, Centre des Monuments Nationaux, Paris 2015
Un complément au sujet de l'entreprise Russel-Tiglia
à Tegelen aux Pays-Bas
Historique de l’entreprise Russel-Tiglia, Atelier de céramique décorative N.V
En 1929, l’usine d’argile d’Alfred Russel fusionne avec la Tigliafabriek.
Le N.V. Russel-Tiglia devient, sous la direction de George Goossens (1899-1977), une entreprise de taille moyenne, qui produit des tuiles et des briques.
En 1935, se rajoute un atelier de modelage. Il y a 2 éminents professeurs, un céramiste Joep Felder (1908-1996) et un artiste Jan Flos. L’entreprise prend le nom de Tekavok, Fondation céramique de Tegelen et d’art populaire.
C’est en 1936 que l’ensemble prend le nom d’Atelier de céramique décorative avec le passage à une production à l’échelle industrielle.
En 1937, se créée la Société anonyme Triangel au sein de Russel-Tiglia, qui compte 133 personnes.
A partir de 1940, l’entreprise connaît un succès grandissant. Deux autres directeurs se succédent René Smeets et Tye van Rens. La production s’oriente essentiellement vers la production d’objets religieux.
Merci à Michel Rooryck pour l'aide à la traduction du texte en néerlandais
Les principaux collaborateurs
En dernière page de l'ouvrage " Une demeure 1934 Architecte : Rob Mallet-Stevens " figure la liste des intervenants dans la construction de la Villa Cavrois.
On y retrouve les entreprises citées dans les textes précédents :
- Auget (et non Auger) et Bonnet pour le ciment armé au 28 rue Bonaparte à Paris
- Bonzel pour les briques rue des Sentes à Haubourdin
- Planquart pour la maçonnerie au 220 Grande rue à Roubaix
PRINCIPAUX COLLABORATEURS
D'AGOSTIN (Granito), 59, rue Saint-Maurice, Roubaix.
AUGET ET BONNET (Ciment armé), 28, rue Bonaparte, Paris.
ALLARD (Staff), 24, rue Notre-Dame, Roubaix.
ANCONETTI (Appareils sanitaires), 18, rue Képler, Paris.
BARRIAUX (Menuiserie métallique), 91, boulevard National, La Garenne.
BARTHELS (Carrelage, faïence), 14, rue de Fleurs, Lille.
BLANC Ch. (Cuisine, buanderie), 42 bis, boulevard Richard-Lenoir, Paris.
BONZEL (Briques), rue des Sentes, Haubourdin.
BRICARD (Serrures), 39, rue de Richelieu, Paris.
LA CALLENDRITE (Étanchéité), 26, avenue de l'Opéra, Paris.
CARETTE-DUBURCQ (Terrassements), 43, rue du Luxembourg, Roubaix.
DEMARCQ (Tapis), 4, rue des Jeûneurs, Paris.
DESMADRYL (Peinture-Miroiterie), 27, rue d'Inkermann, Roubaix.
DESTHOMBES (Plomberie), 21, rue du Maréchal-Foch, Roubaix.
GARNIER (Pendules), 9, rue Beudant, Paris.
MOSER (Jardins), rue Saint-Symphorien, Versailles.
MULTIPLEX (Portes), 71, rue Crozatier, Paris.
NOÈL (Parquets), 55, rue de Flandre, Paris.
PLANQUART (Maçonnerie), 220, Grande-Rue, Roubaix.
PLANQUART-DUROT (Menuiserie), 49, rue des Fleurs, Roubaix.
PROUVÉ (Ferronnerie), 50, rue des Jardiniers, Nancy.
SALOMON, PERFECLA (Électricité), 8 bis, rue Lemoine, Boulogne-sur-Seine.
SELZ (Ébénisterie), 55, rue Traversière, Paris.
SULZER (Chauffage), 7, avenue de la République, Paris.
VAN WELDEN (Menuiserie), 64, rue d'Alsace, Roubaix.