La designer Charlotte Perriand s'est illustrée pour ses remarquables conceptions, pour son esprit avant-gardiste et ses idéaux qui ont ouvert la voie vers un design plus humaniste. Retour sur une artiste incontournable de l'Histoire du design.
Charlotte Perriand, bibliothèque « Tunisie », créée en 1952 et réalisée dans les ateliers Jean Prouvé, image © Phillips
Pour ceux qui ne connaîtraient pas Charlotte Perriand, sachez qu’elle fut tout simplement l’une des créatrices les plus influentes du XXe siècle.
Sa carrière débute en 1927, alors qu'elle se fait remarquer par Le Corbusier et Pierre Jeanneret pour sa participation au Salon d'automne et au Salon des artistes décorateurs. Âgée de 24 ans, elle rejoint leur atelier comme assistante de Le Corbusier et fera partie intégrante de l’équipe en très peu de temps, comme en témoigne la mention de son nom sur la liste des brevets de l’entreprise. Comme elle le disait, Le Corbusier, Pierre Jeanneret et elle étaient « comme les trois doigts d’une même main ». Leur collaboration a duré dix ans.
Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, « Chaise Lounge Basculante », v. 1930, métal laqué et chromé, matelas et peau de léopard, image © Sotheby’s
Charlotte Perriand a ouvert une nouvelle ère du design, marqué par des considérations humanistes. Consciente de la souffrance du monde, elle est restée persuadée que le design pouvait rendre nos sociétés plus positives et équitables. Comme Le Corbusier, elle pensait que les objets qui nous entourent influencent directement notre état d’esprit. Guidée par ces réflexions, elle a mis ses idées en pratique pour laisser un corpus d’objets rationnels et pratiques au service d’un monde meilleur.
"Sans un rangement bien organisé, il est impossible de profiter de l’espace chez soi."
Depuis la première publication de sa biographie, Une vie de création, nombreux sont ceux à avoir pris conscience du nombre d'œuvres emblématiques de Charlotte Perriand, en particulier au début de sa carrière. Ainsi, sa chaise longue reste encore aujourd'hui l’un des plus beaux meubles du XXe siècle.
Son autobiographie révèle aussi une personnalité profonde : Charlotte Perriand s'est réellement questionnée sur le monde et le design, elle ne s'est pas contentée pas de produire des objets, mais aussi des concepts. L'ouvrage montre combien un sujet qui pourrait paraître des plus triviaux la passionnait : le rangement.
Charlotte Perriand, important bahut suspendu dit « en forme », 1939, structure en sapin massif sculpté, portes en aluminium, image © Artcurial
« Quel est l’élément fondamental de la vie domestique ? N’importe qui vous répondra spontanément : le stockage. Sans un rangement bien organisé, il est impossible de profiter de l’espace chez soi », a-t-elle un jour déclaré. Cela peut nous sembler évident aujourd'hui, mais bien avant Ikea ou Marie Kondo, Charlotte Perriand a été la première à constater qu’un environnement ordonné réduit l’anxiété et augmente la qualité de vie.
« Tout change si vite. Ce qui est l’état de l’art à un instant donné ne le sera plus quelques années plus tard. L’adaptation doit être continue – nous devons le reconnaître et l’accepter. Nous ne sommes que de passage ». Charlotte Perriand a changé les codes du design, invitant le public à ne pas suivre les modes et à considérer les designers comme des artistes à part entière. Selon elle, les créateurs avaient la responsabilité de faire avancer la culture en anticipant les besoins que les évolutions de la société allaient amorcer.
Architecte et designer Charlotte Perriand, France en 1991, image CCØ via Wikimedia Commons
Innovante et avant-gardiste, Perriand est néanmoins restée dans l’ombre de ses collègues masculins, bien qu'elle ait été à l’origine des nombreuses créations de l’équipe (notamment la plupart des meubles produits pour des commandes publiques).
Sa biographie a contribué à lui rendre sa vraie place dans l’histoire du design, et s'est imposée comme une lecture essentielle pour les collectionneurs, marchands et designers d’aujourd’hui. L'ouvrage raconte l’histoire de Charlotte Perriand et décrit les préoccupations existentielles avec lesquelles elle s’est débattue tout au long de sa carrière.
Charlotte Perriand, important bureau dit « en forme », 1939, piètement et plateau en pin massif sculpté, image © Artcurial
Malgré le sexisme de son temps, Charlotte Perriand est restée créative, fidèle à ses objectifs et ses idéaux. Elle s'est liée d’amitié avec les artistes et les penseurs les plus célèbres du XXe siècle, comme Fernand Léger, qui a plus tard témoigné de son génie.
Ses voyages à travers le monde l'ont poussée à faire, comme elle les appelait, des « rencontres » (terme qu’elle utilisait pour décrire les expériences qui déclenchaient de nouvelles découvertes esthétiques chez elle). Ainsi, lors de son voyage prolongé au Japon, elle a développé les concepts qui ont pleinement intégré la philosophie Zen (la culture japonaise correspondait fortement à sa propre vision du monde).
Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret, bibliothèque unique conçue pour Henri Ingber, 1948, chêne teinté, image © Phillips
On retrouve cette influence dans le Jardin japonais du thé conçu pour le siège de l’UNESCO à Paris. Conçus par Perriand, cet espace et son mobilier sont à la fois formels et naturels, pratiques et élégants : l’équipement propose le strict nécessaire tout en évoquant le sacré, la profondeur et la richesse de la fonction sociale pour laquelle ils ont été créés.
Peut-être devrions-nous, comme Perriand, prendre le temps de réfléchir à notre vision d'un monde beau. Acheter l'un de ses meubles, c'est s'approprier l’un des aspects les plus essentiels de son travail : la conviction que le design existe au service d’un monde meilleur. « Dans chaque décision importante il y a une option qui représente la vie, c’est celle-ci qu’il faut choisir »