UN JOUR DANS L'HISTOIRE
Un article publié le 15 janvier 2024 par Gérald Decoster - La Première - RTBF actus
Le 10 janvier 2024, dans Un Jour dans l’histoire, Laurent Dehossay recevait l’historienne de l’art Anne Hustache. Ensemble, ils évoquaient le grand architecte et " designer " que fut l’autrichien Josef Hoffmann (1870-1956), dont l’un des chefs-d’œuvre absolus n’est autre que le Palais Stoclet, à Woluwé-Saint-Pierre.
Le Palais Stoclet, " c’est de nouveau la rencontre entre un mécène, Adolphe, à qui il faut ajouter son épouse, Suzanne Stevens " explique Anne Hustache, tout en précisant : " On dit souvent, sous cape, que ce sont les honoraires de la construction du palais Stoclet qui ont permis d’édifier le cabaret Fledermaus, à Vienne ".
Un hôtel particulier extraordinaire comme un palais
Construction du Palais Stoclet, vers 1907-1908.
Cet hôtel particulier est impressionnant à plus d’un titre car il constitue l’archétype, dans la langue de Goethe, de la gesamkunstwerk, une œuvre d’art totale, à l’instar de nombre de créations du Belge Victor Horta. Construit et aménagé de 1905 à 1911 pour Adolphe Stoclet et son épouse Suzanne Stevens, Hoffmann l’a imaginé de A à Z, du mastodonte architectural de marbre de Carrare jusqu’à la fourchette à entremets.
Probablement l’une des réalisations les plus abouties et les plus emblématiques de la Sécession viennoise, pour laquelle les artistes et artisans du Wiener Werkstätte ont œuvré, le Palais Stoclet a aussi fait appel aux plus grands artistes de l’époque : Karl Otto Czeschka, Urgan Janke, Ludwig Heinrich Jungnickel, Fernand Khnopff, Gustave Klimt, Richard Lüksch, Koloman Moser, Michael Powolny, Franz Metzner ou Edouard Wimmer.
Un chef-d’œuvre habité… et protégé
Le palais et ses jardins, vus du ciel. © Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale/Wim Robberchts
Adolphe Stoclet (1871-1949) et Suzanne Stevens (1874-1960) ont eu trois enfants : René (1902-1934), Raymonde (1897-1963) et Jacques (1903-1961), dont l’épouse, Anne Geerts (1907-2002), surnommée Anny, sera la dernière habitante des lieux. De cette fratrie sont issus les nombreux petits-enfants des commanditaires du palais : Alice, Aude, Laurent, Philippe…
L’ensemble exceptionnel qu’est le palais – bâtiment, aménagements, décors, objets, œuvres d’art, jardins… – a été habité jusqu’en 2002, lorsque décéda Anne. L’ensemble est aujourd’hui la propriété d’une société détenue par plusieurs descendants et descendantes.
Entretemps, les autorités compétentes en la matière – Etat belge, puis Région de Bruxelles-Capitale – ont progressivement offert au palais Stoclet, un maximum de protection, même si les règles ne semblent pas toujours actionnées. Le 30 mars 1976, l’immeuble est classé au titre de monument. Le classement des jardins, en tant que site, intervient le 13 octobre 2005 tandis que l’année suivante, le 9 novembre, la Région étend le classement de 1976 aux éléments mobiliers et objets devenus immeubles par destination, spécialement conçus et réalisés pour le palais.
Les « humanoïdes » sommant la tour du palais, par Franz Metzner.
En novembre 2012, une zone de protection est établie autour de la propriété, par la Région. Enfin, consécration suprême : en 2009, le Palais Stoclet est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Une vue rare de la façade arrière du Palais Stoclet. © Brandstaetter images/Getty Images.
Un palais qui risquerait de se vider ?
Le hall du palais.
Dans Un jour dans l’Histoire, l’historienne de l’art Anne Hustache a ouvert une importante parenthèse. Malgré l’importante protection que constituent les divers classements - national, régionaux et Unesco - des éléments du palais sont mis en vente : "… depuis un an, on disperse des objets – certains ont déjà été éparpillés avant – et ceux qui dispersent ces objets s’arrogent ce droit parce qu’ils ne font pas partie de la liste qui a été adoubée par l’Unesco en 2009. Mais je ne comprends pas comment, en dignes descendants d’Adolphe Stoclet, on peut vendre le service de table que Hoffmann a destiné pour cette fameuse salle à manger (du palais). Ça a été fait à Londres l’année dernière. Et tout récemment, une œuvre de Khnopff qui était dans la chambre à coucher des grands-parents (Adolphe et Suzanne) est également partie dans une salle de vente, c’était à Bruxelles en octobre dernier…"
Avant son décès, Adolphe Stoclet a pourtant laissé des instructions à ses héritiers :
« Je désire que ma demeure soit remise dans son état primitif dès que ce sera possible et qu’aucun changement n’y soit introduit. »
De fait, au gré des successions, les collections d’art ancien acquises et exposées dans sa demeure par Adolphe Stoclet, ont été dispersées, ce qui est totalement régulier. Malgré l’une ou l’autre exception, les meubles, œuvres d’art et objets conçus pour le palais sont demeurés en place, tel que le souhaitait Stoclet, quoique…
Paire de moutardiers en argent et malachite, dessins de Josef Hoffmann, réalisation de Josef Hossfeld, du Wiener Werkstätte.
De fait, la maison de vente Wooleys and Wallis de Londres a adjugé pour 580 000 €, cinq pièces d’argenterie issues de la grande salle à manger du palais. Par chance, l’ensemble a été acquis par un seul amateur.
Fore Æternum, Futur, de Fernand Khnopff.
Un pastel et crayon de couleurs de Khnopff, intitulé Fore Æternum, Futur – dont le pendant, Passé, est exposé au Musée d’Orsay, à Paris – a été adjugé 165 000 € par la maison Bonhams Cornette de Saint Cyr, à Bruxelles. Ce pastel avait été acquis par Adolphe Stoclet qui l’avait installé dans sa chambre.
Un ensemble aussi unique que le Palais Stoclet ne peut être altéré. Être né Stoclet ou l’être devenu par mariage n’est certainement pas chose facile, car on doit alors endosser un héritage d’importance universelle, dépassant, dans un certain sens, le seul intérêt privé. Certaines familles, telles les de Meester, ont constitué des sociétés familiales afin de garder intact des lieux comme le château d’Attre…
La salle de bain principale.
Le Palais Stoclet est l’unique bâtiment entièrement construit et décoré par Joseph Hoffmann et la Wiener Werkstätte conservé dans son état d’origine, ce qui confirme l’idée qu’il faut à tout prix éviter une dispersion des éléments qui en constituent le concept. À défaut, ce serait trahir l’essence même du principe de l’Atelier Viennois…
Enfin, évoquée récemment par la Secrétaire d’État à la Région de Bruxelles-Capitale, chargée du patrimoine, l’ouverture au public du Palais Stoclet devra se faire de façon extrêmement réfléchie car les intérieurs tels qu’ils ont été conçus par Hoffmann ne peuvent endurer aucun retrait – les tapis par exemple – afin que le visiteur puisse s’immerger dans l’œuvre… Des demeures tout aussi précieuses et parfois plus exiguës, telle la maison Van Buuren ont déjà réussi ce pari.
Bruxelles : la secrétaire d’État à l’urbanisme veut forcer l’ouverture du Palais Stoclet
Un article du 5 octobre 2023 par Barbara Boulet
Il est parmi les plus beaux patrimoines architecturaux de Belgique. Et pourtant, personne n’a la chance de pouvoir le visiter car il est fermé au public. Le Palais Stoclet, situé sur le haut de l’avenue de Tervueren à Woluwe-Saint-Pierre, fait reparler de lui car la secrétaire d’État bruxelloise à l’urbanisme, la Vooruit Ans Persoons, a annoncé sur le réseau social X qu’elle a l’intention de forcer son ouverture au public. Cela, contre l’avis de la famille Stoclet.
Le Palais Stoclet, est cet hôtel particulier conçu au début du siècle passé, sur le haut de l’avenue de Tervueren, par l’architecte autrichien Josef Hoffmann pour son ami le financier belge Adolphe Stoclet. L’édifice avec ses lignes géométriques est non seulement avant-gardiste, mais aussi une " œuvre totale " : sa décoration intérieure, réalisée en partie par Gustave Klimt, son mobilier, ses objets usuels et ses jardins forment un tout.
En réalité, c’est depuis toujours que le Palais divise les héritiers Stoclet et la Région bruxelloise. Depuis de longues années, la Région se bat pour rendre accessible au public ce bijou art nouveau, alors que la famille veut en disposer librement.
En 2009, malgré un âpre combat juridique mené par les héritiers, le Palais entier, avec son contenu, est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais il reste malgré tout inaccessible au public.
Tout récemment, la région a voulu utiliser les archives publiques pour reconstituer l’intérieur du Palais en vidéo, pour une expo, mais la famille s’y est opposée. " Écrire de manière abstraite que le palais serait " fermé au public " revient à présenter les choses de manière fallacieuse. Contrairement à ce que les parties citées tentent de faire croire, s’il s’agit sans aucun doute d’une œuvre magistrale contenant de nombreux objets de grande valeur artistique, il s’agit non pas d’un musée mais d’abord d’une résidence de famille et d’un écrin à souvenirs. En d’autres termes, quoique d’intérêt artistique indéniable, l’hôtel constitue d’abord un élément de l’intimité d’une famille — élément exceptionnel, certes, mais qui n’en change pas pour autant la nature. La famille Stoclet l’ouvre autant qu’elle le peut au public et à l’Etat, dans la mesure permise pour éviter de perdre ce caractère de demeure familiale historique ", peut-on lire dans la citation en référé formulée par l’avocat de la famille.
La secrétaire d’État bruxelloise à l’urbanisme, Ans Persoons, pour le moins énervée, a annoncé hier sur X qu’elle allait tenter d’imposer son ouverture par la voie légale.
Une annonce applaudie par le bourgmestre de Woluwé-St-Pierre, Benoît Cerexhe qui s’est toujours farouchement opposé à la famille Stoclet : " Quel toupet que d’intenter cette action judiciaire pour empêcher la diffusion d’une vidéo sur le contenu du Palais. On reçoit d’une part de l’argent public, mais on veut empêcher tout partage, même virtuel avec le grand public ".
Concrètement, la secrétaire d’État a l’intention de proposer la semaine prochaine à ses collègues du gouvernement bruxellois une ordonnance coupole pour ouvrir tous les biens inscrits au patrimoine de l’Unesco dix jours par an, au nom de l’intérêt public. Le Palais Stoclet est le seul qui est aujourd’hui fermé.